Quand nous arrivons dans sa ferme d’Oedelem, en Flandre occidentale, Guido est en train de fendre du bois. Il attire notre attention sur une volée d’oies à bec court passant au-dessus de nous. « La plus grande population d’Europe se trouve à deux pas d’ici » nous dit-il. « Et le soleil brille... que demander de plus ? Il faut être ouvert à tous ces miracles de la nature ». Il me tend une paire de bottes et m’emmène visiter la ferme.

Le bâtiment a cent ans. Guido a rénové la ferme en y ajoutant une orangerie, une cuisine construite de ses propres mains et un étang de baignade doté d’une épuration biologique. La boutique est en cours de construction. Les écuries et les granges sont réservées aux poules. Elles sont déjà environ au nombre de 400.

Comme le laisse supposer le nom de la ferme, Happy Chicks, il ne fait aucun doute que ces poulettes sont heureuses. Elles ont de l’espace et se baladent partout : sur le sol, les murets et même la charpente. Une belle collection allant de la brabançonne à la poule de Zottegem. En passant par le coucou de Malines et la Brahma. Guido croise aussi les races. Car la force réside dans la diversité. « C’est beaucoup de travail mais ça en vaut la peine » confie-t-il en les nourrissant. « Le luxe n'a jamais été un besoin pour moi. Peu importe que quelque chose me plaise ou non. Mes sentiments sont totalement secondaires par rapport à mes responsabilités. C’est précisément notre quête de plaisir qui met la planète – et avec elle l’humanité ­– en grande difficulté ».

Élevage durable de poules

Pour la partie habitation de la ferme, Guido a obtenu un crédit hypothécaire, à la Banque Triodos.« Pour moi, cela confirme qu’on comprend ma vision » explique Guido. « La philosophie de Triodos est holistique et je m’y retrouve totalement. À travers ce projet, je démontre qu’on peut faire les choses autrement ».

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Les œufs sont aussi variés que les poules elles-mêmes. Photo : Olivier Papegnies.

Dans la ferme avicole, on produit des œufs sans soja, de la liqueur aux œufs, de la viande de volaille, des jus et de la confiture avec les fruits récoltés sur place. La production s’effectue à la main et la ferme fonctionne à l’énergie solaire. « Il a fallu attendre 2023 pour que notre ferme soit reconnue en tant que telle. Ce fut très fastidieux en raison de la petite taille de l’exploitation. Mais il faut retourner à une agriculture à petite échelle, aux circuits courts avec de l’alimentation locale et de la « slow food ». La transition se fait très lentement mais ça avance ».

Photo : Olivier Papegnies.

Je goûte sa délicieuse liqueur aux œufs commercialisée sous la marque De Lepelaer. Comme ses autres produits, on la trouve dans les épiceries fines Fred’s Finest Market (Edegem) et Grappe de Raisins (Knokke-Heist), à la Brasserie Latem (Laethem-Saint-Martin) ou chez Guido sur rendez-vous. « Ma liqueur aux œufs est fabriquée sans conservateurs, sans colorants et sans arômes artificiels. J’utilise de la vanille naturelle de Madagascar et du genièvre artisanal de la distillerie Eenvoud. Cultivée sans nuire à la forêt tropicale, cela profite à la population locale. Je compose moi-même le mélange sans soja, que je donne à mes poules, en collaboration avec l’entreprise Voeders De Brabandere. L’aliment contient des graines de lin, des restes de légumes, de pain et pâtes. Ce qui augmente la valeur nutritive de la viande et des œufs. Quant au fumier, je l’envoie chez un fermier d’Oostkamp qui travaille en bio. Et la boucle est bouclée ».

Des valeurs nutritionnelles remarquables 

Guido a demandé une analyse, de ses œufs, à un laboratoire. Car les établissements, qu'il approvisionne, souhaitent connaître exactement l'origine et la composition des produits qu’ils servent. Les résultats montrent que son engagement, depuis huit ans en faveur du bien-être animal et d'une alimentation animale respectueuse de l'environnement, se reflète également dans les valeurs nutritionnelles. Les œufs Happy Chicks contiennent ainsi 300 microgrammes de vitamine A par 100 g. Soit un tiers de plus que les autres œufs (œufs non bios 194 microgrammes et œufs bios 203 microgrammes par 100 g).

 

Les résultats sont encore plus frappants pour les acides gras polyinsaturés. Ces derniers s'intègrent dans une alimentation saine et protègent contre les maladies cardiovasculaires. Les graisses, dans les œufs Happy Chicks, sont constituées de 2,1 % d’acides gras oméga 3. C'est 21 fois plus que dans les autres œufs. Qu’ils soient bios ou non (0,1 %). La différence est également considérable pour les acides gras oméga 6. Les graisses, dans les œufs Happy Chicks, en contiennent 12,1 %. Soit 24 fois plus que dans les œufs non bios (0,5 %). Et 15 fois plus que dans les bios (0,8 %). Selon Guido, c’est le résultat de huit années de spécialisation, mais aussi de sa rencontre avec des sœurs missionnaires en Amazonie. « Elles m’ont fait comprendre ce dont une poule a besoin et quel doit être le goût d’un œuf. »

Photographe de renommée internationale

Pour entrer dans la maison, nous passons devant les arbres plantés pour célébrer la naissance de Thor et Mara : ses plus jeunes enfants. De magnifiques photos de la jungle, des Huaoranis et de grenouilles dorées, sont accrochées aux murs. Je vois une ancienne carte de l’Amazonie ; une orchidée, d’un mètre de long, suspendue le long de poutres en chêne foncé. « Mes parents ne pensaient pas à la nature. Mais j’ai poursuivi mon propre chemin. La nature est mon terrain de jeu. Elle a tant à nous apprendre ! Elle renferme toutes les solutions dont nous avons besoin. Cela me dérange que l’humain se considère au-dessus d’elle ».

Guido a pu utiliser l'appareil photo de son frère quand il avait treize ans. Onze ans plus tard, il était prêt pour l’Amazonie. « J’en avais marre de toutes les limites qui nous entourent. Dès que je franchissais un fossé, je me trouvais déjà dans une propriété privée. J’aspirais à la vraie nature sauvage. En Amazonie, on trouve plus de 1.500 espèces d’oiseaux et 1.800 espèces de papillons. Des chiffres qui font évidemment rêver. Et je voulais qu’ils deviennent ma réalité. Mais c’est aussi une rencontre avec soi-même et une épreuve non sans dangers. Malaria, dysenterie… j’ai contracté de nombreuses maladies affreuses.

J’ai rencontré Michel Menin : le détenteur du record du monde de funambulisme. Un homme très équilibré ! (Rires). Il m’a appris à tenir en équilibre et à grimper très haut avec des cordes. Cela m’a permis d’aller photographier la grenouille venimeuse bleue et d’autres espèces particulières dans la canopée de la forêt tropicale ».

Lutte pour la vie

Nous feuilletons son livre « Pure Amazonia ». Il a reçu les éloges de Sting : fondateur de la Rainforest Foundation. Des images puissantes, publiées dans le BBC Wildlife Magazine, EOS et le National Geographic. « Ma première rencontre avec les populations indigènes de la forêt tropicale fut spontanée. Des anthropologues m’ont expliqué comment les approcher. Omentoké, la femme huaorani qui m’a amené dans la tribu, m’a beaucoup appris sur son peuple et la forêt amazonienne. Je la considère comme ma mère spirituelle. Malheureusement, elle a succombé à une morsure de serpent venimeux. Je l’ai appris par un caméraman qui est retourné sur place et a remis un exemplaire de mon livre à son mari ».

« Pure Gold », son livre consacré à la grenouille dorée de Panama, a lui aussi fait le tour du monde. Ses photos, de l’espèce soi-disant disparue, ont émerveillé Sir David Attenborough. « L’œuvre de ma vie s’intitule « Battle for Life ». La forêt amazonienne est victime d’une déforestation massive au profit du soja, de l’élevage et du biocarburant ; la nature est en feu. Je veux illustrer ce combat et les alternatives.

Mon élevage de poules, sans soja, m’y relie personnellement. Pourquoi ne choisirions-nous pas de faire les choses différemment ? Je veux que mes ancêtres et mes enfants soient fiers de moi ; nous devons être loyaux envers les générations futures. Et quand les gens me disent : tu penses que tu vas changer le monde ? Tout seul, non. Mais si chacun de nous déplace une pierre dans la rivière, celle-ci finira par couler différemment. »

Comme toujours, vous pouvez laisser un commentaire sous cette interview. Mais on vous laisse profiter d'abord de la splendeur de la nature offerte par la forêt amazonienne. Et que Guido Sterkendries parvient à capturer en images.