Vu les liens forts entre la Russie et l’Ukraine, c’est toute l’Europe qui va être affectée directement et indirectement via différents canaux. Étant donné l’impact sur la confiance et la cohésion sociale, la stabilité sera difficile à rétablir.

Sanctions financières


À mesure que la guerre s’intensifie, l’Occident impose des sanctions de plus en plus sévères. Les USA, l’UE, le Royaume-Uni et de nombreux autres pays se sont entendus pour exclure la Russie des marchés financiers. Les banques ne sont plus autorisées à investir dans la dette souveraine russe, la Russie n’est plus en mesure d’effectuer des transactions en devises étrangères, plusieurs banques russes ont été exclues du réseau de paiements SWIFT, et – sanction probablement la plus inédite – l’accès de la Banque centrale de Russie à ses gigantesques réserves internationales a été largement restreint. Le rouble est en chute libre et l’économie russe, en toute vraisemblance, fonce vers une profonde récession.

Impact économique de la guerre


La crise montre à quel point la stabilité géopolitique peut être fragile. Les pays occidentaux se sont unis pour soutenir l’Ukraine, tandis que d’autres acteurs majeurs tels que la Chine et l’Inde se tiennent à l’écart. Comme le conflit est toujours en cours, les répercussions économiques demeurent incertaines.
À ce stade, outre l’Ukrainequi est forcémment la plus à plaindre, l’Europe subit un grand gâchis. Plus la guerre va durer, plus son impact risque de s’étendre globalement. L’Europe est très dépendante de l’énergie russe. Même si tous les pays de l’Union ont déjà entamé leur transition vers les énergies renouvelables, la plupart n’ont pas été assez rapides.

De plus, la Russie et l’Ukraine produisent des matières premières essentielles pour de nombreuses industries, notamment dans les secteurs du bâtiment, de l’automobile et de l’agro-alimentaire. Le prix des produits de base, déjà relativement élevé, a explosé depuis que la guerre a éclaté. Les exportateurs nets de produits de base vont bénéficier de la hausse des prix, en particulier l’Amérique latine et l’Afrique du Sud ; les importateurs, en revanche, c’est-à-dire principalement l’Europe et l’Asie, vont en souffrir. Et si le conflit perdure, les pressions inflationnistes à l’échelle mondiale ne feront que continuer à s’accumuler et affecteront le pouvoir d’achat des consommateurs·rices.

Entre-temps, c’est dans les pays (indirectement) impliqués dans le conflit que les perturbations financières sont les plus significatives. Les USA, vu leurs liens commerciaux limités avec la Russie, vont probablement conserver leur dynamique de croissance à court terme, tandis que la Chine devrait être moins impactée étant donné qu’elle a choisi de ne pas s’impliquer dans le conflit. Cependant, l’incertitude et les ruptures de la chaîne d’approvisionnement vont peser sur les perspectives économiques, et nous revoyons à la baisse nos prévisions économiques globales.

Mesures d’atténuation : banques centrales et gouvernements

 

L’invasion de l’Ukraine par la Russie va probablement compliquer les futures décisions quant au rythme du durcissement monétaire par la FED et la BCE. Avant l’invasion, la hausse de l’inflation et les tensions sur les marchés de l’emploi ont incité les grandes banques centrales à entamer un durcissement de leurs politiques monétaires. La guerre ne va qu’exacerber les craintes que cette inflation se prolonge, tandis que l’instabilité géopolitique mondiale risque fortement d’entraver l’activité économique et de renforcer les turbulences sur les marchés financiers. Durant la décennie écoulée, la stabilité financière a été une priorité majeure des grandes banques centrales, ce qui s’est traduit par les politiques monétaires ultra souples que nous connaissons actuellement. Il est difficile d’envisager un scénario où les banques centrales abandonneraient soudain leur objectif de stabilité financière. Les marchés financiers semblent également en être conscients, en escomptant désormais cinq hausses des taux FED pour 2022 au lieu de sept voici quelques semaines, et seulement une hausse de 20 pb du taux BCE au lieu de deux hausses de 25 pb. Pour l’instant, nous nous attendons à ce que les banques centrales s’en tiennent à leurs plans de durcissement à court terme, mais elles pourraient se montrer plus conciliantes que prévu au second semestre de 2022 en raison de la guerre et des prévisions de croissance revues à la baisse.

 

 

Le conflit a également un impact sur les politiques gouvernementales, surtout en Europe. Les perspectives économiques vont indubitablement se détériorer, et il est probable que les ménages aux revenus les plus faibles souffriront de la prolongation d’une inflation élevée induite par la guerre. Les gouvernements tenteront sans doute d’amortir l’impact de l’inflation en compensant une partie de la hausse des coûts, tout en renforçant leurs dépenses consacrées à la défense. En outre, les pays européens vont devoir intensifier leurs efforts fiscaux pour venir en aide aux réfugiés ukrainiens.

 

Les changements de politique fiscale dans la zone euro doivent probablement être envisagés sous un autre éclairage qu’avant le début de la guerre en Ukraine. Premièrement, la guerre pourrait s’avérer être un tournant dans la création d’une union politique. L’action politique collective contre l’invasion russe, les sanctions collectives et le renforcement de la coopération militaire pourraient également initier un mouvement visant à renforcer davantage le budget de l’UE, en plus de l’augmentation déjà enregistrée pour faire face à la crise sanitaire du COVID. Deuxièmement, les dépenses militaires – notamment les 100 milliards d’euros annoncés cette semaine par l’Allemagne – sont une réaction aux circonstances. Troisièmement, cette augmentation des dépenses se fera sans toute au détriment de la transition énergétique. Quoi qu’il en coûte, les investissements favorisant cette transition doivent être intensifiés. Non seulement pour réduire la dépendance face au pétrole et au gaz naturel russes, mais surtout pour continuer à lutter contre le changement climatique. D’après le récent rapport publié par le GIEC, la voie permettant d’atteindre les objectifs de Paris ne cesse de se rétrécir à chaque seconde.

Implications pour les marchés financiers


Tant que l’incertitude règnera quant à l’ampleur de la guerre, à l’impact des sanctions européennes ainsi qu’à la réponse russe, l'objectif « sans risque » sera probablement prévalent. Cela va se traduire par des niveaux élevés de volatilité et la poursuite de l’exode vers des placements refuges. En conséquence, les obligations d’États sûrs – par exemple les USA et l’Allemagne – devraient continuer à enregistrer une demande élevée, avec à la clé une hausse de leur prix et une baisse des rendements. Les attentes des investisseurs·euses d’un resserrement moins agressif de la banque centrale vont également prolonger la suppression des rendements. D’autres valeurs refuges telles que le dollar US vont probablement se renforcer. On s’attend à ce que les marchés boursiers doivent continuer à lutter, étant donné qu’une inflation élevée prolongée devrait augmenter la pression sur les marges et faire le lit de mauvaises surprises en termes de bénéfices.