L’approche du limitarisme n’est pas un monde sans pauvreté extrême, mais un monde sans richesse extrême. « L’idée qui sous-tend cette approche est qu’un monde sans richesse extrême est un monde meilleur et plus équitable », explique Ingrid Robeyns. « Selon mes analyses, la richesse extrême n’est tout simplement pas justifiable ».
Selon la philosophe, la forte influence des personnes trop fortunées est illégitime sur des questions telles que la gouvernance, les décisions politiques et l’utilisation des ressources. « Cela finit par impacter toute la société. Et cela touche à nos normes et valeurs », poursuit-elle. « Nous nous sommes accoutumés à l’idée que certaines personnes peuvent accumuler de l’argent et des biens à l’infini. La plupart des gens trouvent cela tout à fait normal ».
Une richesse injuste
La richesse extrême est rarement le fruit de procédés totalement honnêtes. Dans son livre, Ingrid Robeyns parle de dirty money, l’argent sale. Souvent, une richesse extrême est issue de phénomènes tels que l’évasion fiscale, les monopoles sur les matières premières et les inégalités historiques. « D’un point de vue historique, de nombreuses richesses se sont construites sur l’exploitation et l’oppression coloniale. Il serait presque impossible de faire pire », se désole-t-elle.
La justification de la richesse extrême repose sur la croyance erronée qu’elle est due à un dur labeur. Or, la chance et les privilèges jouent souvent un rôle plus important, constate Ingrid Robeyns. De nombreux milliardaires ont obtenu leur fortune par héritage, par un pouvoir de marché ou par des investissements judicieux (ou simplement chanceux). Elle n’est donc pas forcément liée à un travail acharné. « La chance joue un rôle bien plus grand dans nos vies que ce que nous voulons admettre », estime Ingrid Robeyns.
Le secteur financier contribue lui-même à la richesse extrême (et à son maintien). « Les personnes fortunées se voient attribuer un banquier privé qui veille à préserver leur patrimoine et à les rendre encore plus riches », explique-t-elle. Cela ne fait que renforcer les inégalités.
Une limite à 10 millions d’euros
Pour toutes ces raisons, Ingrid Robeyns plaide dans son livre pour le plafonnement de la richesse. « Il n’y a pas de consensus quant au montant maximal, mais quasiment tout le monde s’accorde à dire qu’il devrait y avoir une limite », explique-t-elle. Mais où se situe-t-elle, cette limite ? Se basant sur des études menées aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, Ingrid Robeyns est arrivée à déterminer un plafond de 10 millions d’euros. « J’aurais préféré ne pas mentionner de montant précis », admet-elle. « Mais sans cela, des gens pourraient dire : OK, fixons la limite à 1 milliard ».
Ce montant est cependant une base de discussion. « Je pense par exemple qu’il existe aussi une limite morale... De combien a-t-on véritablement besoin en tant qu’individu ? Je pense que cette limite devrait plutôt être fixée à 1 million d’euros ».
Faisabilité politique et économique
Reste la question : comment transposer en pratique le concept de limitarisme ? Le principal problème est que les riches peuvent facilement transférer leur argent dans d’autres pays pour échapper à l’impôt. Selon Ingrid Robeyns, les pays devraient établir collégialement des règles plus strictes. « Un récent rapport fiscal révèle qu’il existe déjà une multitude de manières de contourner les nouvelles règles, même pour un impôt minimal de 15 pour cent », avertit-elle. « Si nous ne nous attaquons pas au cœur du problème, la situation perdurera ».
Parmi les solutions possibles, il y a la taxation plus élevée des héritages et du patrimoine, une collaboration internationale pour supprimer les paradis fiscaux, des contrôles financiers plus stricts et des investissements éthiques par les institutions financières. « Ce qui est incroyable, c’est que nous avons tout bonnement abandonné l’idée de contrôler les plus nantis de ce monde », constate-t-elle.
Vers une société plus juste
Le limitarisme n’a pas pour vocation de punir les gens riches, souligne Ingrid Robeyns, mais plutôt de répartir justement les richesses. Notre société devrait se demander s’il est normal que la richesse puisse être illimitée. Les inégalités économiques sont, elles, présentes partout sur la planète, à tel point qu’elles nous apparaissent comme quelque chose de « normal ». Ingrid Robeyns : « Mais ce n’est pas une raison pour ne rien faire ».
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