L’association féminine zij-kant a organisé la table ronde « Mind the Gap », animée par Selma Franssen. Pour nourrir le débat, étaient présents Inge Wallays, chargée de relation à la Banque Triodos, Ilse De Witte, journaliste spécialisée en économie et finance pour Trends, Bieke Purnelle, codirectrice de l’asbl RoSa, centre d’expertise sur le genre et le féminisme, ainsi que Chris Sugira, analyste senior chez Belfius et chroniqueur dans le podcast Money Time sur VRT MAX. Voici les cinq principales conclusions qui sont ressorties de la discussion, pour expliquer pourquoi les femmes investissent moins… mais mieux.
1. Les femmes disposent de moins de moyens
Pour investir, il faut d’abord avoir de l’argent… et force est de constater que les femmes en possèdent souvent moins que les hommes. Bieke Purnelle précise : « Ce n’est pas seulement lié au fait que les hommes sont mieux rémunérés. Au-delà de l’écart salarial, il existe aussi une vraie fracture patrimoniale, qui touche notamment les biens immobiliers et les héritages. Des études montrent que, lors d’une cession d’entreprise, les fils sont souvent avantagés. Or, en Belgique, 75 % du patrimoine ne provient pas du travail mais de richesses héritées. Cela creuse encore davantage le fossé en matière d’investissement. »
Un exemple qui a récemment fait la une des médias est celui du constructeur de bus Van Hool, ajoute Ilse De Witte : « Les fils ont hérité d’une partie de l’entreprise, et les filles, de l’immobilier. Au moment de la liquidation de la succession, l’entreprise s’étant avéré valoir beaucoup plus que les biens immobiliers, l’affaire a été portée devant les tribunaux ».

Bieke Purnelle ajoute un autre élément clé : « Souvent, on regarde les revenus à l’échelle du ménage, mais cela masque de grandes différences. Dans les couples hétérosexuels, hommes et femmes ne gèrent pas leur argent de la même façon : les femmes mettent la majeure partie de leur salaire dans le budget familial, alors que les hommes gardent plus facilement une part pour eux. Ils gagnent aussi généralement plus et trouvent normal de garder une portion de leur revenu, ce qui est moins le cas des femmes. »
L’écart salarial se retrouve également au moment de la retraite, avec un vrai fossé au niveau des pensions. Les femmes peuvent-elles le combler en investissant ? Inge Wallays nuance : « Si vous avez de l’argent dont vous n’avez pas besoin tout de suite – c’est la condition sine qua non – et que vous pouvez l’investir sur plusieurs années, alors oui, vous pouvez préparer votre retraite de cette façon. Et il n’est pas nécessaire de commencer avec une grosse somme : dès cinq euros par mois, c’est possible. »
2. Les femmes ont moins de temps
Et si investir venait simplement s’ajouter à un emploi du temps déjà bien chargé ? « Les femmes qui prennent soin de leur famille ou qui sont conjointes aidantes disposent de facto de moins de temps libre que les hommes, explique Bieke Purnelle. Se plonger dans le fonctionnement des placements, choisir le produit qui correspond à ses valeurs, surtout si on veut investir de façon éthique, tout cela demande du temps et de l’énergie… Résultat : l’investissement se retrouve vite relégué tout en bas des priorités. »
Pour Chris Sugira, il existe tout de même quelques astuces pour gagner du temps : « On peut miser sur des fonds, qui sont comme des petits paniers remplis de différents placements. Il y a aussi les ETF, ou trackers, qui sont des fonds cotés en bourse et qui suivent un panier d’investissements déjà existant. Par exemple, si vous achetez un ETF qui suit le BEL20, l’indice des vingt plus grandes entreprises belges, votre investissement prend de la valeur quand le BEL20 grimpe, et l’inverse quand il baisse. Cet "investissement passif" est peu coûteux, facile à comprendre et fait gagner du temps, que l’on soit une femme ou un homme. Parfois, il suffit simplement de se lancer. »
Mais existe-t-il aussi un raccourci pour se tourner vers des investissements durables ? « Le site financite.be classe les banques selon leur niveau de durabilité », signale Inge Wallays. « Il y a aussi le label Towards Sustainability, qui aide à repérer les fonds durables. »
Chris Sugira nuance : « J’ai déjà vu Amazon dans un fonds censé rassembler des entreprises qui traitent leur personnel de manière durable, et ce fonds avait justement le label Towards Sustainability. Une autre fois, j’ai repéré un fonds durable qui mettait l’accent sur l’égalité de genre et sur les entreprises où des femmes occupent des postes à responsabilités. Ce fonds se présentait comme un fonds article 9, censé viser un objectif de durabilité. Pourtant, une des entreprises du fonds, c’était Meta, qui, même si elle compte des femmes aux postes clés, n’est pas pour autant une entreprise durable ! »

Le mot d’ordre est donc « Do your own research » – cherchez vous-même ce qui vous convient. « C’est comme quand on va au supermarché : mieux vaut lire la liste des ingrédients écrite en petits caractères et ne pas se fier uniquement au nutriscore », résume Selma Franssen.
3. Les femmes prennent moins de risques
« Certains affirment que si les femmes investissent moins, c’est parce qu’elles sont moins attirées par la prise de risque. Cette aversion au risque est bien moins répandue chez les hommes, qui, souvent, veulent se montrer sûrs d’eux et tout gérer eux-mêmes, » explique Chris Sugira.
Mais cet excès de confiance a aussi ses revers, comme le souligne Ilse De Witte : « À chaque achat ou vente, il faut payer des frais de transaction et des taxes aux instances publiques. Comme les femmes négocient moins souvent leurs placements, elles payent aussi moins ce genre de frais, qui finissent par grignoter les rendements. » Pourquoi ? « Peut-être que les femmes sont de meilleures élèves et font des choix plus réfléchis. Ou alors, c’est simplement une question de manque de temps ? » En tout cas, le résultat, c’est qu’une fois qu’elles se lancent, les femmes décrochent de meilleurs rendements.

Une autre raison à ces bons résultats, c’est que les femmes privilégient souvent des produits plus sûrs : « Acheter une action, c’est un peu comme chercher une aiguille dans une meule de foin. Alors qu’investir dans un ETF, c’est comme acheter toute la meule de foin d’un coup. En mettant chaque mois un petit montant dans un ETF, même si c’est moins excitant, au final, c’est payant. »
Mais le rendement ne fait pas tout, rappelle Inge Wallays : « Investir dans des ETF, c’est facile, mais quand on se demande vraiment quelles entreprises ils contiennent, c’est tout de suite plus compliqué. Il y a toujours un risque de tomber sur des actions un peu douteuses. Pour moi, l’important, c’est de savoir où va notre argent et à quoi il sert. On peut choisir de faire en sorte que notre argent soutienne des projets positifs. »
4. Les femmes mettent davantage l’accent sur la durabilité
Pour Ilse De Witte, si les femmes investissent toujours moins que les hommes, c’est aussi parce qu’elles font moins confiance aux banques : « En principe, quand on veut commencer à investir, le premier réflexe, c’est de s’adresser à sa banque. Mais aujourd’hui, beaucoup de femmes préfèrent se tourner vers des influenceurs ou influenceuses. » Elle s’étonne d’ailleurs que les banques n’aient pas réussi à gagner la confiance des femmes : « Beaucoup d’entre elles veulent tout comprendre dans le détail et être sûres qu’il n’y aura pas de problème avec leur argent. Or, pour les banquiers, répondre à ce niveau d’exigence, ça demande du temps. »
Ou alors, il faut miser sur la transparence, comme le fait la Banque Triodos, explique Inge Wallays : « La plupart des banques se contentent de publier les dix plus grosses positions de leur portefeuille. Nous, on va plus loin : chaque fonds présente l’ensemble des entreprises qui le composent, de A à Z. On peut cliquer sur chaque nom et découvrir pourquoi Triodos Investment Management a décidé d’investir dans cette entreprise. C’est essentiel de savoir où va son argent. »

Cela dit, cette transparence peut présenter un inconvénient : « Il arrive que vos investissements ne suivent pas forcément les tendances du marché, surtout quand les entreprises non durables affichent de meilleurs résultats que les entreprises durables. Puisque nous n’investissons ni dans l’armement, ni dans l’or, ni dans les institutions financières, il se peut que le rendement soit un peu moins élevé. Et cela ne permet pas de résoudre le problème du fossé d’investissement. Mais au moins, il n’y a pas à s’inquiéter des aspects d’ordre éthique. »
Chris Sugira nuance : « Même si investir dans des entreprises moins durables rapporte plus en ce moment, ce n’est pas ça qui doit primer. À long terme — à condition de pouvoir laisser son argent investi pendant plusieurs années —, les placements durables devraient offrir des rendements équivalents. Et puis, c’est indispensable si on veut miser sur l’éthique. Surtout quand l’alternative, c’est de laisser dormir ses économies sur un compte d’épargne, alors que l’inflation grignote tout doucement le pouvoir d’achat. Au final, les placements durables rapportent toujours plus que de ne rien faire. »
Chez Triodos, Inge Wallays remarque que celles et ceux qui choisissent d’y investir tiennent vraiment à savoir où va leur argent. Et il semble que cette démarche attire particulièrement les femmes : « En Belgique, les investisseurs sont à 60 % des hommes et 40 % des femmes, mais chez Triodos, ce fossé est bien moins marqué : 53 % d’hommes et 47 % de femmes. »
Ce souci de durabilité pourrait aussi expliquer pourquoi les femmes se tournent moins vers les bitcoins, un thème qui a justement été abordé dans la suite de la discussion.
5. La cryptomonnaie séduit surtout les hommes
« Si on en croit le discours des nombreux influenceurs suivis par les jeunes hommes, devenir riche, c’est vraiment l’objectif ultime dans la vie », explique Bieke Purnelle. Elle pointe du doigt cette forme de masculinité toxique : « L’idée, c’est de s’enrichir vite pour pouvoir trouver une partenaire, de préférence moins riche, et subvenir à ses besoins. Ce genre de normes très rétrogrades fait un vrai retour, surtout chez les jeunes garçons. Par exemple, mes deux ados reçoivent énormément de contenus qui font l’apologie de l’enrichissement rapide, peu importe les moyens. Et c’est bien là le souci : la dimension éthique disparaît complètement. »
Pour Ilse De Witte, la montée en puissance des « finfluenceurs » et des cryptomonnaies s’explique aussi par la crise bancaire : « Après la crise bancaire, il y a eu la crise de la dette. Les banques centrales ont alors commencé à baisser leurs taux directeurs, avec toutes les conséquences que cela implique pour l’épargne. Cela a instauré de la méfiance par rapport au système financier traditionnel. C’est dans ce contexte que le bitcoin est apparu, la première cryptomonnaie. Ce système décentralisé, sans banque centrale, est très peu régulé, contrairement aux banques, qui depuis la crise, croulent sous les règles. Par exemple, elles doivent faire valider toutes leurs communications par l’Autorité des services et marchés financiers. Ce vide a vite été comblé par les influenceurs, qui peuvent recommander librement tel ou tel placement, ce qui est bien plus compliqué pour les banques. »
Le monde des cryptos présente d’ailleurs quelques similitudes avec l’or, note Ilse De Witte : « Comme pour l’or, il y a une quantité limitée et tout repose sur une croyance partagée dans la valeur. Mais il suffit qu’un jour, quelqu’un crie ‘le roi est nu !’ pour que tout s’écroule. »
Dans ce contexte, Inge Wallays rappelle qu’il existe aussi la possibilité d’investir dans l’économie réelle, où on peut avoir un impact concret. Bieke Purnelle rebondit : « Ce serait quand même génial de pouvoir placer son argent dans un fonds féministe, écologique ou pacifiste. » Et Inge Wallays conclut : « Ou alors, de passer par une banque qui s’en occupe pour vous. »

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