Des tarifs douaniers réciproques
Par un calcul éminemment simpliste totalement dénué de rigueur économique, le gouvernement U.S. a introduit ce qu’il a appelé des droits de douane « réciproques » pour la plupart de ses partenaires commerciaux. Ces mesures visant les biens (et pas les services) et ayant pour but de protéger les industries américaines ont immédiatement déclenché un séisme sur les marchés financiers du monde entier. Tandis que l’administration prétend que cette initiative est appelée à créer un terrain de jeu plus lissé, ces droits de douane se classent parmi les plus élevés qu’on ait vus depuis des décennies, rappelant la tristement célèbre loi Hawley-Smoot de 1930 qui avait amplifié la Grande Dépression en déclenchant une série de guerres commerciales de représailles, ce qui fait craindre aujourd’hui que l’histoire se répète.

Tant pour l’économie mondiale que pour l’UE, ces droits de douane et les potentielles mesures de représailles constituent un sérieux défi en termes de bien-être général, étant donné qu’ils vont lourdement toucher la croissance économique. Dans notre système de dépendance à la croissance, ce sont les plus vulnérables qui seront les premières victimes. Bien que dans certains cas, il puisse être légitime de vouloir tenter de stopper la surconsommation de certains produits non durables, appliquer des droits de douane universels n’est jamais une bonne idée. L’outil du libre-échange pourrait, au moins en théorie, permettre de mieux distribuer les richesses mondiales – et c’est en partie ce qu’il a déjà fait. En tout état de cause, vu la situation actuelle, l’UE aurait intérêt à mettre les bouchées doubles sur deux priorités essentielles : l’accélération de la transition durable et le renforcement de la coopération internationale.
Accélérer la transition durable
Les droits de douane de Trump risquent d’augmenter la volatilité des chaînes d’approvisionnement ainsi que les coûts pour les entreprises européennes qui dépendent du marché US. L’Europe est particulièrement vulnérable en ce qui concerne l’énergie, les métaux et les minéraux – c’était déjà la conclusion du rapport Draghi l’année dernière. Si on veut être très positif, on pourrait considérer cette perturbation comme une opportunité plutôt qu’un revers. En investissant de manière plus agressive dans les énergies renouvelables, l’économie circulaire et la fabrication durable, l’UE peut réduire sa dépendance à l’égard d’une dynamique commerciale volatile tout en renforçant son leadership mondial dans le domaine des technologies vertes. Cela lui permettrait par exemple de devenir moins dépendante du gaz liquéfié américain (GNL) ou des métaux de terres rares en provenance de Chine.
Le Green Deal européen et le Clean Industrial Deal fournissent déjà un cadre permettant de réduire la dépendance aux combustibles fossiles et d’accroître la résilience industrielle. Toutefois, le protectionnisme de Trump souligne l’urgence de cette transition. Si l’accès aux marchés US devient plus incertain, l’UE doit cultiver des chaînes d’approvisionnement intra-européennes plus fortes et investir dans des méthodes de production durable faisant baisser les coûts à long terme. Ceci étant dit, l’UE ne peut pas devenir entièrement autosuffisante, surtout au niveau des ressources critiques telles que les minéraux de terres rares et certaines matières premières nécessaires aux technologies vertes. Face à cette réalité, dans les turbulences géopolitiques que nous traversons, la coopération internationale n’en est que plus essentielle.
Renforcer les alliances mondiales
Les politiques « America First » de Trump risquent d’intensifier les tensions commerciales non seulement entre les États-Unis et l’UE, mais aussi avec d’autres économies majeures, en particulier la Chine. En guise de réponse, l’UE dispose d’une opportunité stratégique pour renforcer des alliances bilatérales avec d’autres partenaires commerciaux, notamment le Canada, le Japon et des marchés émergents en Afrique et en Asie. Développer les accords commerciaux et les investissements dans ces régions peut contribuer à atténuer les risques posés par le protectionnisme américain tout en garantissant un accès stable aux ressources essentielles. Cela permettrait en outre de modérer l’impact des droits de douane américains sur ces régions.
De plus, un engagement accru envers les institutions multilatérales telles que l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) et les accords sur le climat est crucial. Si les États-Unis se retirent de la coopération mondiale, l’UE devra combler le vide en matière de leadership en faisant pression pour imposer des politiques commerciales équitables et des engagements climatiques ambitieux où le développement économique est aligné sur la responsabilité environnementale. Pour que la transition verte soit à la fois réalisable et résiliente, il va falloir garantir des chaînes d’approvisionnement stables et diversifiées fondée sur des partenariats à l’échelle mondiale.
Au-delà du commerce et du développement durable, la coopération internationale reste essentielle pour maintenir la stabilité géopolitique et prévenir les conflits. L’UE doit reconnaître que les perturbations économiques, les crises climatiques et les tensions géopolitiques sont interconnectées, formant une polycrise qui nécessite des solutions mondiales coordonnées. Les mesures protectionnistes, à défaut d’être encadrées, peuvent dégénérer en conflits plus étendus, alors que les alliances stratégiques et les cadres coopératifs sont susceptibles d’éviter que les tensions économiques ne se transforment en confrontations militaires.
La transition durable est plus urgente que jamais
Les nouveaux tarifs douaniers de Trump doivent agir comme un signal d’alarme pour l’UE. Si ses mesures protectionnistes menacent la stabilité économique, elles soulignent par ailleurs le besoin d’une économie européenne plus durable et stratégiquement plus indépendante. Toutefois, une autosuffisance complète relève du fantasme – il est vital de préserver l’approvisionnement en matériaux essentiels et les relations commerciales. De plus, la coopération internationale n’est pas qu’une question de commerce ; elle est indispensable pour remédier à la polycrise de l’instabilité économique, du changement climatique et des tensions géopolitiques. En accélérant sa transition écologique et en étendant les partenariats internationaux, l’UE pourra non seulement contrer l’impact de la politique US, mais aussi s’imposer en leader mondial plus fort et plus résilient. L’avenir exige des mesures audacieuses que l’UE doit être prête à prendre.
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