Thomas, quelle est la raison qui a amené la Banque Triodos à se faire introduire en bourse ?
« L’entrée en bourse sur Euronext était l’étape suivante dans notre transition au niveau du capital. Jusque-là, nous achetions nous-mêmes des certificats bancaires aux personnes qui souhaitaient en vendre, pour ensuite les vendre à celles et ceux qui voulaient en acheter. Ce système a bien fonctionné pendant longtemps, mais cela fait aussi longtemps que nous sommes devenus une banque où les détenteurs de certificats sont nombreux et ne se connaissent plus tous. Aujourd’hui, nous avons 43.000 détenteurs et détentrices de certificats répartis dans cinq pays. L’ancien système s’est heurté à ses limites, et les tentatives que nous avons faites pour le rétablir ont malheureusement échoué. Cela a eu des conséquences importantes pour de nombreuses personnes. C’est pourquoi nous avons consulté les détenteurs et détentrices de certificat, individuellement et en tant que groupes d’intérêts, pour voir ce que nous pouvions faire. Ces discussions ont récemment abouti à un accord avec un grand groupe d’intérêt ainsi qu’à une proposition de règlement ».

« Lorsque l’ancien système est arrivé dans une impasse, nous nous sommes tournés vers un système externe, une sorte de bourse privée permettant aux gens d’échanger des certificats entre eux. Plusieurs investisseurs ayant manifesté leur intérêt pour les certificats ne pouvaient toutefois pas y négocier leurs titres. Il s’agit en l’occurrence de grands investisseurs institutionnels tels que les compagnies d’assurance, les fonds de pension ou les fondations, qui ont besoin d’un mandat de leur conseil d’administration ou de leurs investisseurs pour effectuer ces opérations. Ils pouvaient éventuellement obtenir ce genre de mandat, mais c’était beaucoup de travail pour une issue incertaine. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons pris la décision de passer à Euronext, où nous pouvons rendre le plus grand nombre de certificats accessible au plus grand nombre d’investisseurs. L’objectif final reste la réalisation d’une perspective positive à long terme pour la banque. »

Mais la Banque Triodos n’était-elle pas la banque qui voulait ne jamais entrer en bourse ?
« Il est vrai que, dans le passé, nous nous sommes élevés contre les excès du capitalisme qui se manifestent en bourse. En soi, nous ne sommes évidemment pas opposés aux transactions puisque nous négocions également des certificats via notre propre système. Nous nous élevons en revanche contre les forces qui agissent sur ces échanges et pour qui la quête du gain financier à court terme constitue l’objectif de la négociation des titres. Et on trouve beaucoup de comportements de ce genre sur Euronext. Nous avons toujours dénoncé cette tension, et nous continuerons à le faire à l’avenir. Notre mission ne consiste pas uniquement à financer le changement, mais aussi à changer le système financier de l’intérieur. C’est à nous de prouver que nous pouvons également le faire en tant qu’entreprise cotée en bourse. Le point positif est qu’il existe maintenant sur le marché boursier un segment d’investisseurs mus par des valeurs et pour qui un investissement tel que la Banque Triodos est très intéressant. Nous sommes la seule banque B Corp sur Euronext, ce qui offre une nouvelle opportunité pour les investisseurs soucieux d’avoir un impact. »

Des investisseurs moins bien intentionnés pourraient-ils également acheter des certificats ? Une reprise hostile, en quelque sorte ?
« Tout le monde est libre d’acheter et de vendre des certificats. Et par ailleurs, tout le monde ne cherche pas à vendre. En d’autres termes, si un repreneur hostile veut acheter une part substantielle de certificats, il devra commencer par trouver un grand nombre de personnes souhaitant en vendre. C’est une première barrière. Nous avons également mis en place d’autres mécanismes visant à l’empêcher. »

Et qu’en est-il des personnes qui investissent pour accroître les profits ou les maximiser ? Cela peut-il avoir indirectement un impact sur la politique poursuivie ?
« Notre prospectus est clair. Il mentionne les mécanismes visant à protéger notre mission, de sorte que les investisseurs de type venture capital ne seront majoritairement pas intéressés. En outre, nos objectifs financiers sont également très clairs pour les investisseurs potentiels. Nous visons un ratio coûts-bénéfices (cost-income ratio) de 70 à 75 %, et comptons sur une rentabilité des capitaux propres (return on equity) de 5 à 7%. Ce sont des objectifs que nous poursuivons déjà depuis plusieurs années, et l’entrée en bourse n’y a rien changé. Le fait de surveiller en permanence son ratio coûts/bénéfices et de le gérer en personne prudente et raisonnable témoigne d’une bonne gouvernance. Il convient d’éviter de fragiliser l’entreprise par des coûts trop élevés ou des rendements trop faibles. Rester en bonne santé implique un minimum de rentabilité et de maîtrise des coûts. Nous en avons besoin pour générer plus d’impact. »

Qu’entendez-vous par-là ?
« Si le capital est important pour toutes les entreprises, dans une banque, il occupe une place particulière. Nous finançons nos activités à partir du capital et de l’épargne. Pour faire simple, on peut dire que pour 100 euros octroyés en crédits, il faut 7 euros de capital et 93 euros d’épargne. Cette épargne devant être le plus possible sécurisée, le système de garantie des dépôts protège votre épargne jusqu’à 100.000 euros. Mais comme entreprendre comporte des incertitudes, on a besoin de capitaux capables de supporter ces risques. Plus les risques sont élevés, plus le rendement l’est aussi. C’est nécessaire si on veut renforcer son capital et grandir. À la Banque Triodos, s’ajoute à cela que ces bénéfices nous permettent de générer plus d’impact, ce qui augmente notre attrait auprès des personnes souhaitant que leurs investissements aient un impact. C’est une spirale vertueuse d’impact, de risques et de rendement. »

Quels sont les points sur lesquels Triodos veut se concentrer en Belgique ?
« Nous voulons progresser dans les produits que nous proposons actuellement. Ce qui ne nous empêche pas de rester à l’affût des pionniers et pionnières qui contribuent à la transition durable. Par exemple, nous avons récemment été la première banque d’Europe à octroyer un crédit à un producteur d’hydrogène vert. Notre banque est la seule dont tous les produits d’épargne portent le label Towards Sustainability. Sans compte que notre proposition d’investissement est la plus durable sur le marché belge. »

Y a-t-il encore suffisamment de gens intéressés par la durabilité et la transition, alors que le monde entier semble se concentrer sur la défense et sur la notion de « faisable et abordable » ?
« Dans ce contexte, il me semble très révélateur que les comptes ouverts chez nous pour les nouveau-nés aient été de loin les produits ayant remporté le plus de succès en 2024. Les Belges sont donc très nombreux à se soucier de l’avenir de leurs enfants. Cela se traduit notamment par le type d’épargne qu’ils et elles choisissent pour leurs enfants. Et notre banque a une réponse à leur offrir pour cette positivité tournée vers l’avenir. »