En quoi consiste exactement une coopérative ? Il s’agit d’une entreprise dirigée par ses utilisateurs, clients ou collaborateurs, qui en sont aussi les actionnaires. Les bénéfices retournent donc vers celles et ceux qui, ensemble, font vivre l’entreprise. Toutefois, les bénéfices ne sont pas la seule raison d’être des coopératives, qui poursuivent également des objectifs sociaux et sociétaux.

Prenons les coopératives citoyennes d’énergie. Il en existe désormais plus de 30 en Belgique. La création de certaines remonte au début des années 90, lors de la libéralisation du marché de l’énergie, sous l’impulsion de citoyens et citoyennes désireux de produire de l’énergie verte et locale. Les fournisseurs d’électricité classiques leur ont emboîté le pas, de sorte qu’il est aujourd’hui possible de se procurer partout de l’électricité verte. Les coopératives ont donc joué un rôle de pionnières de la transition énergétique. 

Dans le secteur social, nous pouvons également donner l’exemple de Collectief Goed. Cette coopérative, active à Anvers, rénove des logements sociaux pour des familles fragilisées. Une des premières coopératrices est une société de logements sociaux, qui acquiert des parts en échange de ses anciens logements vides. Une fois l’habitation rénovée par Collectief Goed, ce sont des bénéficiaires de l’aide sociale qui y emménagent. Ces bénéficiaires constituent un second groupe d’actionnaires qui, par l’acquisition d’une part, ont également leur mot à dire au sein de la coopérative.  

Peter Bosmans, directeur en adviseur bij Febecoop.
Peter Bosmans, directeur de la Febecoop.

Les coopératives sont présentes dans quasiment tous les secteurs et revêtent différentes formes : outre les coopératives citoyennes susmentionnées, il y a également les coopératives de producteurs, les coopératives de travailleurs et encore d’autres formes mixtes.  

Pourquoi opter pour une de ces formes quand on démarre une activité ? C’est la première question que nous avons posée à Peter Bosmans, directeur de la Febecoop et expert sur le sujet. 

« La première question que nous posons à celles et ceux qui souhaitent se lancer concerne la finalité de leur projet. Si l’objectif principal n’est pas la recherche de bénéfices, il est préférable d’opter pour la forme d’association sans but lucratif (ASBL). À l’inverse, si l’on vise la réalisation de bénéfices sans limitation, la société à responsabilité limitée (SRL) sera plus appropriée. En revanche, si l’on souhaite poursuivre une mission tout en générant des bénéfices raisonnables, la société coopérative (SC) constitue généralement la meilleure option : dans ce cas, les dividendes à rétrocéder sont limités à 6 %. Pour les sociétés coopératives à finalité sociale (SCFS), il faut aussi savoir qu’en cas de départ, seul l’apport initial peut être récupéré. Concrètement, si vous investissez 100 000 euros aujourd’hui, c’est ce même montant que vous récupérerez dans 30 ans si vous décidez de quitter la coopérative. En résumé, il s’agit d’une structure que l’on choisit avant tout pour répondre aux besoins des coopérateurs, et éventuellement d’autres parties prenantes, ce qui peut être très large : cela peut aller jusqu’à la préservation de l’environnement, par exemple », explique Peter Bosmans. 

Est-il possible de transformer une association ou entreprise existante en coopérative ? Et dans quels cas est-ce intéressant ?  
« Oui, c’est tout à fait possible. Transformer une ASBL en coopérative est une démarche relativement simple, qui se déroule en plusieurs étapes clairement précisées dans le Livre 14 du Code des Sociétés et Associations. En revanche, la question du capital est souvent plus complexe. Par exemple, nous avons récemment rencontré des personnes qui étaient parmi les premières à se lancer dans le recyclage de bois issu de démolitions. Elles s’étaient bien entourées, avaient travaillé sans relâche pendant huit ans, accumulant une solide expérience et y consacrant un nombre d’heures impressionnant. Compte tenu des salaires très modestes qu’elles se versaient, on pourrait presque parler de bénévolat. » 

« J’ai malheureusement dû leur expliquer qu’elles ne pouvaient rien récupérer du capital constitué au sein de l’ASBL. Leur marque, leur clientèle, leurs procédures étaient parfaitement établies, tout comme leur expertise dans le domaine des matériaux recyclables, autant d’éléments précieux, mais qui ne correspondent à aucune part sociale. Rien de tout cela ne pouvait donc être transféré dans la coopérative. Par ailleurs, lorsqu’une association sans but lucratif réalise des bénéfices, ceux-ci doivent obligatoirement être versés de manière définitive dans une réserve indisponible – ce qui me paraît tout à fait justifié, compte tenu de certains abus observés par le passé. Cette réserve peut servir de fonds de roulement, mais il est impossible de la retirer de la société coopérative. J’ai constaté à plusieurs reprises que, pour beaucoup, cette réalité s’apparente à une véritable douche froide. » 

Une asbl avertie en vaut deux ! La situation est-elle différente pour les SRL ? 
« Depuis quelques années, nous accompagnons de plus en plus de SRL qui souhaitent se convertir en SC, souvent parce que les dirigeants arrivent à l’âge de la retraite et souhaitent transmettre leur entreprise à leurs membres du personnel. Ce sont eux qui connaissent le mieux l’activité et qui ont largement contribué à son développement. Le passage en SC présente avant tout un intérêt pratique, puisqu’il n’est pas nécessaire de passer devant le notaire — et donc d’engager des frais — à chaque modification de l’actionnariat. Cela facilite vraiment l’entrée ou la sortie de nouveaux associés. Mais, au fond, ce n’est pas la motivation principale. Ce qui anime les membres du personnel lorsqu’ils reprennent l’entreprise, c’est surtout l’envie d’assurer de bonnes conditions de travail, de préserver l’emploi local, de participer aux décisions et de faire progresser l’entreprise ensemble. C’est un état d’esprit très différent de celui des grandes entreprises où l’actionnariat salarié est souvent perçu comme un simple avantage extralégal. D’ailleurs, lors de la fermeture de Renault ou de Ford, certains disaient avec humour que les salariés étaient peut-être satisfaits de voir la valeur des actions remonter, mais, en réalité, ils étaient surtout affectés par la perte de leur emploi. »

« L’inverse est également vrai : une SC ne peut pas tout simplement être reprise. Une entreprise en bonne santé est très prisée par les repreneurs potentiels vu que selon la théorie économique, reprendre une entreprise qui tourne bien est beaucoup moins risqué que partir d’une feuille blanche. J’ai pu l’observer lors de la cession d’une société de titres-service : lorsqu’ils commencent à tâter le terrain, la première chose que font le cédant et le repreneur est de signer un contrat de confidentialité de 30 pages. Six mois plus tard, on sabre le champagne et le lendemain, le personnel voit débarquer son nouveau patron. Dans une coopérative, c’est impossible. »  

« Quand on choisit ce système, où la mission passe avant le profit, on inscrit aussi clairement une forme de démocratie dans les statuts. Par exemple, en limitant le nombre de voix par membre à l’assemblée générale, on peut être reconnu par le Conseil national de la Coopérative. Ça apporte quelques avantages, il faut le dire, mais soyons clairs : ce ne sont pas des raisons suffisantes pour devenir une coopérative. Ce sont plutôt des petits plus appréciables ».  

Ces avantages sont vraiment intéressants, mais y a-t-il aussi des inconvénients à choisir le modèle coopératif ?  
« Il est établi que les conflits qui apparaissent au sein des coopératives sont, paradoxalement, souvent plus intenses. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle j’ai abouti dans le cadre de mon étude menée auprès de dix coopératives. Dès le troisième entretien, je pouvais déjà anticiper les témoignages des suivants. Cette situation s’explique par le fait que les membres sont généralement bien plus investis : ils partagent un rêve commun et ont, ensemble, constitué la mise de départ. Les enjeux personnels et collectifs sont donc plus forts que dans une entreprise classique, où il est généralement admis que la direction prenne rapidement des décisions et gère ensuite les éventuels conflits de manière plus expéditive. » 

Quelle est la solution ?  
« D’un point de vue systémique, les conflits interpersonnels sont inévitables. La question n’est donc pas de savoir s’ils surviendront, mais plutôt de déterminer comment les résoudre efficacement. Il est dès lors pertinent de prévoir une procédure à cet effet dans le règlement intérieur, par exemple en désignant un médiateur externe susceptible d’intervenir en cas de besoin. Par ailleurs, le choix de la personne qui assumera la présidence est déterminant : elle doit faire preuve d’écoute, permettre à chacun de s’exprimer et être en mesure de favoriser l’émergence d’un consensus. » 

Pour conclure, on considère souvent la coopérative comme l’un des principaux leviers pour bâtir une économie et une société plus sociales et plus durables. Partagez-vous ce point de vue ? Selon vous, la coopérative représente-t-elle l’avenir ?  
« C’est en tout cas la vision que je continuerai à défendre. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que ces structures demeurent des entreprises, qui sont censées présenter des résultats financiers satisfaisants, ce qui peut parfois entrer en contradiction avec la réalité du terrain. Je pense, par exemple, à un bistrot coopératif créé pour favoriser la réinsertion sociale de personnes souffrant de troubles psychiatriques, en leur confiant une activité porteuse de sens mais qui, en fin d’année, n’enregistre aucun bénéfice. Bien souvent, on y privilégie des sodas locaux, quitte à renoncer à une marge commerciale, plutôt que de proposer des boissons issues de multinationales. Mais concrètement, lorsque le prix des denrées alimentaires augmente de 12 % ou plus et que les salaires suivent la même tendance, alors que la clientèle n’est pas disposée à payer 30 euros pour un repas, il devient nécessaire de faire d’autres choix. » 

« Pour autant, cela ne constitue pas une raison de renoncer à agir. L’économie ne doit pas nécessairement rester ce système unitaire, presque dogmatique, que nous en avons fait. Par exemple, dans une coopérative, les coopérateurs et coopératrices demeurent responsables des fonds qu’ils et elles investissent dans la société. Je trouve toujours surprenant que, dans une entreprise classique, les actionnaires n’aient de comptes à rendre à personne, même lorsqu’il s’agit d’exclure un administrateur. Autrefois, à l’époque de la Compagnie des Indes orientales, bénéficier d’une responsabilité limitée était un privilège qui se méritait. Mais une fois que cette limitation de responsabilité est devenue le moteur de la croissance économique et du capitalisme, plus personne ne l’a remise en question. Par ailleurs, ce modèle de gestion d’entreprise — désormais considéré comme la norme — est aujourd’hui la seule forme d’entrepreneuriat abordée dans l’enseignement. 

Il en résulte que les notaires, comptables ou avocats — qui constituent pourtant des interlocuteurs de confiance pour les entrepreneurs — ne sont généralement pas familiarisés avec d’autres modèles. Ainsi, lorsque des entrepreneurs approchant l’âge de la retraite souhaitent transmettre leur entreprise à leur personnel et les sollicitent, dans quatre cas sur cinq, leur comptable ne comprend pas la démarche et s’y oppose. Pourtant, il n’y a aucune raison de brader leur entreprise. Il s’agit avant tout d’une question idéologique : dans le système traditionnel, une reprise d’entreprise suppose presque toujours qu’il y ait un gagnant et un perdant, alors que notre approche vise à instaurer une situation gagnant-gagnant. Je suis d’avis que les banques durables pourraient jouer un rôle important dans cette évolution. » 

C’est bien noté ! Merci pour cette discussion. 

Découvrez tout le potentiel des coopératives en participant à la journée d’inspiration organisée par la Febecoop, le jeudi 2 octobre à Flagey.