Ces dernières années, l’investissement durable – longtemps perçu comme une solution win-win, à la fois pour la conscience et le capital – fait face à une pression croissante. Certains critiques l’accusent aujourd’hui d’être politisé, inefficace, trop coûteux, voire de masquer de l’écoblanchiment. Aux États-Unis notamment, on observe un recul dans l’adoption des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) : législateurs et investisseurs n’hésitent plus à remettre en cause la pertinence et la fiabilité de ces indicateurs. 

Mais si l’on prend le temps de dépasser le tumulte idéologique et les inquiétudes liées aux performances à court terme, un constat s’impose : non seulement l’investissement durable reste pleinement d’actualité, mais il n’a jamais été aussi indispensable. 

Le recul observé en matière d’investissements durables ou ESG s’explique en grande partie par l’action de groupes de pression conservateurs, déterminés à défendre des intérêts économiques solidement établis. Présentée comme un rejet des questions progressistes, souvent qualifiées de « wokisme », cette opposition relève moins de la performance financière que d’une résistance profonde à tout changement structurel. En s’en prenant aux cadres ESG et en alimentant la guerre culturelle, ces groupes détournent l’attention des risques matériels bien réels : dégradation de l’environnement, instabilité sociale et défaillances de gouvernance. Au final, cela crée un écran de fumée idéologique, qui fragilise des outils pourtant conçus pour garantir, sur le long terme, la santé financière et la stabilité de la planète. Ce brouillard a surtout pour but de préserver les intérêts d’une infime minorité, celle qui bénéficie financièrement du statu quo. 

Ironiquement, ces attaques ne font que rappeler l’urgence d’intégrer, a minima, les risques ESG. Les critères ESG devraient être considérés comme des outils de gestion des risques, c’est-à-dire des cadres prospectifs permettant d’identifier les vulnérabilités et d’orienter les capitaux vers des résultats durables et résilients. Remettre en cause ces outils menace non seulement l’environnement, mais aussi la stabilité du système financier à long terme.

Toutefois, la gestion des risques ESG n’est qu’un premier pas : pour parvenir à des résultats réellement durables, des changements systémiques beaucoup plus profonds s’imposent. Dans cette dynamique, l’investissement à impact – qui oriente explicitement les capitaux vers des résultats positifs et mesurables, en plus des rendements financiers – jouera un rôle clé. 

L’état alarmant de la planète 

Chaque jour qui passe rend l’urgence environnementale plus évidente. Entre la hausse des températures, la multiplication des phénomènes climatiques extrêmes et la perte de biodiversité, ces enjeux ne sont plus de simples menaces lointaines : ils impactent déjà notre économie et notre société. C’est pour cela que l’investissement durable dépasse largement le statut de tendance : il s’impose comme une réponse essentielle aux limites que rencontre notre planète. Fermer les yeux sur ces signaux, ce n’est pas faire preuve de prudence, c’est faire preuve d’irresponsabilité ! 

Si les performances comptent, les perspectives comptent encore plus 

Il faut le reconnaître : ces dernières années, de nombreux fonds ESG ou durables ont affiché des performances inférieures à celles des principaux indices mondiaux. Dans un contexte où les bénéfices tirés des combustibles fossiles, la domination des géants de la tech et la hausse des taux d’intérêt dictent la tendance, les portefeuilles axés sur la durabilité ont eu du mal à suivre le rythme. 

Mais l’investissement durable n’a jamais promis des gains rapides. Son objectif, c’est de générer des rendements en tenant compte de leur impact, en évaluant les performances financières à l’aune des conséquences environnementales et sociales. Sur le long terme, les stratégies intégrant les critères ESG continuent d’afficher un fort potentiel pour des rendements compétitifs, voire supérieurs. De nombreuses études l’attestent : les entreprises qui misent sur une gouvernance solide, une gestion environnementale stricte et des pratiques responsables montrent une meilleure résistance en période de crise et sont souvent mieux placées pour saisir les opportunités de croissance à venir. 

Protectionnisme et incertitude mondiale : le capital privé doit intervenir 

Dans un contexte mondial où les tensions géopolitiques s’intensifient, où le commerce se fragmente et où le protectionnisme gagne du terrain – illustré notamment par les droits de douane instaurés par Donald Trump et la politique de nationalisme économique « America First » –, la fiabilité du financement public et de la coopération internationale pour le climat et le progrès social s’est partiellement affaiblie. Cette situation fait peser une responsabilité accrue sur les capitaux privés pour mener la transition vers un développement durable.

Pourtant, alors que l’investissement privé n’a jamais été aussi crucial, de nombreuses institutions financières font marche arrière (au moins en apparence), sous la pression politique et face au scepticisme entourant les critères ESG. Ce repli n’est pas seulement à courte vue, il est aussi risqué. Nous ne pouvons pas compter uniquement sur les financements publics pour transformer les systèmes énergétiques, décarboner l’industrie ou bâtir des infrastructures résilientes face au climat. Si les marchés de capitaux se détournent aujourd’hui de la durabilité, nous risquons de nous enfermer dans des décennies supplémentaires de dégradation environnementale et d’instabilité économique. 

L’investissement durable offre justement les outils nécessaires pour que les capitaux privés fassent partie de la solution : il permet d’orienter les fonds là où ils sont le plus utiles et de soutenir les innovations qui façonneront l’économie de demain. 

L’Europe de l’écologie 

Alors que le scepticisme envers les critères ESG prend de l’ampleur aux États-Unis, l’Europe continue de mener l’assaut au niveau mondial en matière de politique climatique et de finance durable. À travers des initiatives telles que le Clean Industrial Deal, le vieux continent cherche à bâtir un écosystème où les marchés de capitaux sont pleinement alignés sur les objectifs de durabilité. 

L’approche européenne dépasse la simple dimension éthique : elle s’inscrit dans une véritable stratégie. En plaçant la finance durable au cœur de sa compétitivité, l’Union européenne peut diminuer sa dépendance à des chaînes d’approvisionnement mondiales volatiles, encourager l’innovation locale et se positionner à la pointe de la prochaine révolution industrielle. Face au contexte géopolitique actuel, l’Europe n’a d’autre choix que de renforcer progressivement ses investissements durables. 

Contrer la montée du populisme : la stabilité par la durabilité

L’insécurité économique et la fragmentation sociale ont favorisé l’essor des mouvements populistes à travers le monde. Cette dynamique découle, au moins en partie, de notre modèle économique traditionnel axé sur la croissance, qui a accentué les inégalités, dégradé l’environnement et généré une instabilité systémique. Les prévisions de croissance à long terme dans les économies développées n’ont jamais été aussi faibles depuis des décennies. S’entêter à préserver un paradigme obsolète fondé sur la croissance ne fait donc qu’exacerber nos vulnérabilités. 

Bien mené, l’investissement durable s’attaque à certaines des causes profondes du populisme, en promouvant l’inclusion, le travail décent, des rémunérations équitables et la résilience à long terme des communautés. Il propose ainsi un récit alternatif fort, qui s’oppose à la division et aux visions à court terme dont se nourrit le populisme. En soutenant les entreprises qui respectent les limites planétaires et placent la valeur sociale avant la maximisation des profits immédiats, les investisseurs peuvent contribuer à réorienter l’économie vers un avenir non seulement viable, mais aussi plus juste et plus stable, loin du modèle actuel centré sur la croissance. 

Logique à long terme : rendement et résilience 

Aujourd’hui plus que jamais, l’investissement durable s’impose comme la meilleure stratégie pour protéger à la fois les populations et la planète face aux chocs économiques. En privilégiant le développement durable, l’investissement à impact vise un monde où chacun dispose des outils et des ressources nécessaires pour s’épanouir, et où l’économie évolue en harmonie avec la nature, dans le respect des limites planétaires. Au-delà de ses fondements éthiques, cette approche est, selon nous, la plus rationnelle sur le plan économique : elle favorise des rendements financiers durables et à long terme. 

En soutenant des entreprises et des projets qui apportent une contribution positive à la société et à l’environnement, l’investissement durable aide à bâtir un avenir où prospérité économique et respect de la planète vont de pair. Face à l’incertitude croissante qui pèse sur l’économie mondiale, ces investissements ciblés demeurent un levier essentiel pour garantir stabilité, équité et résilience.