Dans cette nouvelle série documentaire, l’espoir – qui, selon le mythe de Pandore, est ce qu’il reste dans la boîte une fois le monde délivré de tous les maux –, au-delà d’être la dernière chose qui se perd, est aussi un catalyseur de transformation.

Créateur de la chaîne HOPE et l’un des vulgarisateurs environnementaux les plus suivis sur les réseaux sociaux en espagnol, Javier Peña mise sur une approche moins courante consistant à parler des solutions, de ce qui fonctionne réellement. En six épisodes filmés sur quatre continents, « Hope! Estamos a tiempo » montre qu’il ne s’agit pas seulement de freiner l’effondrement, mais plutôt d’imaginer une autre histoire... meilleure !

Tournée dans 17 pays, sur 4 continents et avec l’intervention de certains des acteurs les plus importants de la lutte contre la crise climatique, la série nous guide dans un voyage à travers des stratégies concrètes, mesurables et évolutives permettant de réduire les émissions et de régénérer les écosystèmes de la planète.

Elle a été financée par la branche espagnole de la Banque Triodos et présentée fin novembre par Javier Peña au Parlement européen à Bruxelles.

La série documentaire propose un récit autre que celui de l’effondrement climatique. Que va-t-elle apprendre au public qu’il n’aurait pas déjà découvert dans d’autres documentaires sur le changement climatique ?

Javier Peña : Le public de la série va découvrir un parcours très novateur au travers d’une autre facette de la crise climatique, celle des solutions. On en parle beaucoup moins, alors que selon moi, c’est actuellement la plus pertinente. Cela fait de nombreuses années qu’on parle de ce qui va mal se passer, de points de bascule, de scénarios catastrophes… mais nous sommes en 2025, à une période clé. Nos actes d’aujourd’hui sont déterminants pour les prochains millénaires. C’est aussi simple que cela.

Et ce qu’on omet souvent de nous dire, c’est que nous disposons déjà d’une boîte à outils extraordinaire : des solutions concrètes qui fonctionnent déjà dans le monde entier. Loin d’être des théories, ce sont des réalisations qui permettent de résoudre des problèmes dans des domaines tels que l’agriculture, l’industrie, l’énergie, la mobilité, la gestion du territoire, l’économie... Au fil de notre parcours dans 17 pays sur quatre continents, nous avons rencontré un large éventail de pionnières et pionniers, de personnes novatrices, de scientifiques et de communautés qui démontrent que la régénération est non seulement possible, mais qu’elle est déjà en cours.

Que signifie présenter « l’autre facette du récit climatique » ? Qu’est-ce qui change quand on braque les projecteurs sur ce qui fonctionne ?

C’est la mi-temps où nous remportons la victoire. Celle au cours de laquelle nous pouvons agir, où nous avons du pouvoir, une marge de manœuvre pour la transformation. La mi-temps où nous cessons d’assister à la détérioration et devenons acteurs et actrices du changement. Cette partie du récit nous permet d’imaginer et de bâtir un futur souhaitable, et pas seulement d’en éviter un qui est terrible. Nous pouvons être la première génération qui, au-delà de satisfaire les besoins humains, aide la vie à prospérer et favorise l’abondance sur la planète. Pour moi, c’est le défi le plus passionnant qu’une personne puisse vivre.

Le documentaire est très exhaustif. Quel a été le processus d’investigation ?

Nous avons dû effectuer un travail de recherche très approfondi. Nous avons pu compter sur le soutien de Project Drawdown et de Regeneration, qui sont probablement les deux initiatives mondiales les plus importantes dans la cartographie des solutions à la crise climatique. Grâce à elles et à une équipe de documentation très méticuleuse, nous avons pu accéder à cette facette méconnue du problème, celle des solutions. Et il ne s’agit pas de solutions théoriques, mais de réalisations actuelles qui fonctionnent et ont un impact tangible. De nombreux experts ayant déjà vu la série nous ont dit qu’il y en avait dont ils n’avaient jamais entendu parler, ce qui confirme qu’il reste encore beaucoup à explorer, à communiquer et à développer.

Parmi toutes les réalisations que vous avez documentées, y en a-t-il une qui résume particulièrement bien ce réel potentiel de changement ?

Il y en a beaucoup, mais certaines m’ont profondément marqué. Notamment l’histoire de Cabo Pulmo, dans l’état de Basse-Californie du Sud, au Mexique. Des pêcheurs y avaient épuisé les ressources dans leur zone de pêche. Plutôt que de se disputer les derniers poissons, ils ont décidé de demander au gouvernement d’y interdire la pêche et de créer un sanctuaire marin, en misant sur le tourisme écologique. Leur réussite est impressionnante : ils vivent mieux aujourd’hui que par le passé, et les poissons sont revenus beaucoup plus nombreux qu’auparavant. Cet exemple montre comment la restauration de la nature produit une abondance qui relance l’économie et améliore la vie des humains.

Par ailleurs, il y a aussi l’agriculture régénérative. Le documentaire évoque le cas du plateau de Loes, en Chine, où un mégaprojet de restauration de l’écosystème est parvenu à faire revenir la pluie et à extraire des millions de personnes de la pauvreté. Il en a été de même en Espagne, avec le projet AlVelAl ou sur l’exploitation d’Ernest Mas, dans la province de Tarragone, qui a réussi à accroître sa production de 30 % en réduisant ses coûts et en remplaçant les pesticides par la biodiversité. Cette révolution qui transforme les paysages, améliore la rentabilité et rend le contrôle aux agriculteurs est une des solutions les plus efficaces et les moins mises en avant.

Comment cet état d’esprit porteur d’espoir se traduit-il dans le format documentaire ?

Nous vivons à une époque où il est facile de sombrer dans le désespoir. Toutefois, renoncer à l’espoir en ces années décisives serait le plus grand crime contre l’humanité. Ce n’est pas seulement une question morale ou émotionnelle. C’est une question de stratégie. Nous avons tout ce qu’il faut : les connaissances scientifiques, le savoir traditionnel et la capacité d’innover. Nous sommes face à un compte à rebours défini par les limites de la planète, ce qui peut nous pousser à donner le meilleur de nous-mêmes. Cette série documentaire se veut un antidote au désespoir qui nous rappelle que nous pouvons choisir un autre récit.

Croyez-vous qu’il existe une industrie du pessimisme ?

Absolument. C’est une industrie multimillionnaire. On nous martèle sans cesse qu’il n’y a rien à faire, que tout est perdu, que plus rien n’a d’importance. C’est un message qui paralyse les gens et profite à celles et ceux qui tirent des bénéfices du système actuel. Mais une chose est sûre : nous pouvons régénérer la vie sur la Terre et, par la même occasion, nous régénérer nous-mêmes en tant que société. Comme le dit Paul Hawken dans le documentaire : « Croyez-le ou non, le réchauffement climatique peut être une bénédiction ». Il nous oblige à nous réinventer, à renouer avec les autres êtres vivants, à découvrir notre rôle en tant qu’espèce source de vie, et non de destruction.

La série est née avec l’aide d’un crowdfunding. Vous est-il arrivé de penser que vous ne parviendriez pas à la réaliser ?

Souvent. Le processus a été très long et difficile. Nous avons eu de nombreuses réponses du type « cela ne nous intéresse pas », « nous préférons acheter un documentaire de la BBC, c’est moins cher ». Mais je n’ai pas baissé les bras parce que la chaîne HOPE sur les réseaux sociaux avait déjà démontré que l’intérêt était bel et bien là. Avec très peu de moyens, grâce à des vidéos tournées dans un village de la sierra de Gredos, nous avons réussi à atteindre plus d’un milliard de vues. Cela démontre bien que les gens ont envie de contenus rigoureux, accessibles et porteurs d’espoir. J’espère que cette série mettra fin, une bonne fois pour toutes, au mantra selon lequel « les gens ne veulent pas entendre parler du changement climatique ».

Quelle est l’origine de la chaîne HOPE et à quel moment avez-vous senti qu’elle devenait une plateforme à l’impact mondial ?

J’ai toujours été passionné par la nature. J’ai étudié la biologie, mais j’ai abandonné mes études pour me consacrer à la conception et à la communication numériques. En 2018, j’ai été bouleversé par la publication du rapport du GIEC annonçant qu’il ne nous restait plus que 12 ans pour éviter les pires scénarios. Mon premier fils venait de naître. Les incendies en Amazonie et en Australie, les sécheresses en Espagne, la dégradation des campagnes... J’ai senti que plus rien n’avait de sens si nous ne réglions pas d’abord ces problèmes. Je vivais dans un petit village de la sierra de Gredos et la seule solution qui m’est venue à l’esprit a été de lancer une chaîne et de commencer à réaliser des vidéos. Je l’ai baptisée HOPE parce que même si je n’avais pas beaucoup d’espoir, je refusais de ne pas en avoir du tout. Après six mois, j’avais déjà quitté mon travail pour me consacrer à plein temps à la chaîne et à la production de vidéos car elle avait un succès viral dans de nombreux pays et bénéficiait d’un large soutien de la communauté.

Qu’avez-vous appris pendant ces années ?

Que tout repose sur l’honnêteté et le langage. Il faut dire ce que l’on pense, mais d’une manière compréhensible. Beaucoup utilisent un jargon scientifique ou écologique qui coupe le lien avec leur audience. Il est crucial de traduire le message, de le rendre accessible. Il convient aussi de s’adapter aux formats de chaque réseau. Mais surtout, il faut parler de solutions. Quand le message est positif, des portes s’ouvrent, des barrières tombent, même les personnes qui ne croient pas au changement climatique disent : « D’accord, je n’y crois pas, mais je veux que mon champ ressemble à ça ». Il y a là un terrain fertile pour construire des majorités qui font progresser la régénération.

L’espoir peut être dangereux s’il paralyse, mais vous en faites plutôt un moteur. Comment le définissez-vous réellement ?

Évidemment, l’espoir n’est pas passif, il est actif. Il ne s’agit pas de s’asseoir et d’attendre que tout s’améliore, mais de construire l’espoir avec nos décisions, nos mains, nos vies. C’est profondément transformateur.

Au milieu du bruit et de l’urgence, que peuvent faire aujourd’hui les citoyens lambda qui se sentent impuissants face au défi climatique ?

Il est erroné de croire que la responsabilité incombe uniquement aux gouvernements ou aux entreprises. Trois piliers sont nécessaires : l’action institutionnelle, l’action entrepreneuriale et l’action individuelle. Et la pierre angulaire de tout cela est la société civile. Ce sont la pression sociale, la demande, l’opinion publique... qui font bouger les choses. Il ne faut attendre personne. Nous pouvons commencer dès aujourd’hui, chacun et chacune à notre niveau, et cela aura un effet multiplicateur considérable.

Le concept d’économie régénérative qui revient souvent dans votre travail peut sembler abstrait. Comment se traduit-il en exemples concrets et tangibles ?

Il consiste essentiellement à transformer des problèmes en solutions. L’économie régénérative apprend de la nature : elle transforme les déchets en ressources et génère de la valeur à partir des ordures. C’est une économie plus efficace et intelligente, créatrice de fertilité, de stabilité et de vie — pour les générations futures, mais aussi pour celles d’aujourd’hui.

À San Francisco, des millions de tonnes de déchets ont été transformées en compost, utilisé ensuite à grande échelle sur les champs californiens – ; c’est un exemple parlant. Ce programme a été financé par l’État lui-même, car il a été démontré que ce compost joue un rôle d’« électrochoc » sur les sols dégradés : il relance la vie, et améliore la rétention d’eau, la fertilité et le piégeage du carbone. Associés à un changement dans les pratiques agricoles et d’élevage, tous ces avantages accroissent la rentabilité des agriculteurs. Là où se trouvaient auparavant des déchets qui polluaient les aquifères et émettaient du méthane, il y a désormais des ressources qui nourrissent la terre et créent des emplois.

La logique est totalement inversée : au lieu de produire avec de l’énergie fossile des engrais qui détruisent les sols, on crée un cercle vertueux. L’agriculteur a moins besoin d’intrants, gagne en indépendance et, cerise sur le gâteau, sa récolte est plus rentable. C’est un modèle reproductible dans le monde entier.

Dans la série, Kate Raworth rappelle une belle phrase où elle dit que nous avons besoin d’une métamorphose mondiale. Passer du stade de chenille — un système dégénératif et linéaire consommant des ressources et produisant des déchets — à celui de papillon : une économie à deux ailes, deux cercles. L’un est constitué des matières naturelles qui doivent retourner dans le sol pour lui apporter du carbone, de l’azote et du phosphore. L’autre comprend des matières artificielles qui doivent être conservées dans un cycle fermé, réutilisées et recyclées pour éviter toute extraction supplémentaire. C’est une économie circulaire et régénérative. C’est un changement de paradigme.

Les pêcheurs aujourd’hui reconvertis dans l’agriculture marine régénérative en sont un autre exemple. Ils récoltent des algues ou des huîtres tout en protégeant l’écosystème le plus riche en biodiversité de toute la côte. Quand on voit toutes ces réalisations, on se rend compte de ce qu’on peut accomplir en changeant de point de vue.

Vous avez dit que nous vivons l’un des moments les plus prolifiques du génie humain. Qu’est-ce qui vous pousse à en être tellement persuadé ?

Nous disposons de tout ce qu’il nous faut : les connaissances scientifiques, le savoir ancestral, la technologie, la créativité. L’urgence quant aux limites de la planète nous incite à avancer. C’est un compte à rebours qui nous oblige à donner le meilleur de nous-mêmes. Et tout cela peut conduire à une nouvelle ère : celle de la régénération sociale et environnementale. Mais nous devons d’abord comprendre que le défaitisme est un luxe que nous ne pouvons pas nous permettre, surtout celles et ceux d’entre nous qui ont des enfants ou des êtres chers. Ce documentaire entend être un terreau riche en possibilités.

Après avoir visité 17 pays et découvert des centaines d’initiatives, quelle est l’image que vous retenez ? Quelle est la scène qui vous redonne de l’énergie lorsque l’espoir vacille ?

J’ai l’intime conviction que nous pouvons réussir. Tout n’est pas encore fait, loin s’en faut, mais certaines pièces se mettent en place. Il existe aujourd’hui des solutions qui n’existaient pas il y a dix ans. Des pays tels que la Chine ou le Kenya misent sur les énergies renouvelables par pur intérêt économique. Les producteurs qui ont abandonné le modèle de l’agriculture intensive ne veulent pas revenir en arrière. Des écosystèmes sont restaurés avec succès. Tout cela me donne de l’espoir.

Si je devais retenir une seule image, ce serait le regard de Nemonte Nenquimo, la leader waorani qui a réussi à faire fermer la première exploitation pétrolière de l’histoire de son territoire. Voyant d’où elle vient, ce qu’elle a affronté, la puissance qui se dégage de son regard… cela me donne la chair de poule. C’est la preuve que l’impossible est possible. Cette scène est très bien racontée dans la série, et pour moi, c’est un rappel permanent qu’il y a des raisons d’aller de l’avant, qu’un futur est possible si nous nous battons pour lui.