Vingt-quatre ans d’expérience dans le secteur financier, dont ces trois dernières années au sein d’une banque durable, m’ont permis de voir fonctionner les institutions financières et les personnes qui y travaillent, y compris moi-même, de multiples manières. La conclusion de cette longue observation est que la mission qu’une banque se fixe est décisive. C’est elle qui conditionne le fait de s’inscrire dans une logique de maximisation du profit à court terme, ou dans une perspective à long terme faisant primer la plus-value sociétale, en tant que fondement de son modèle économique.

Lehman Brothers était le symbole d’une économie financière : autrement dit, d’une économie dans laquelle l’argent servait de levier pour générer encore plus d’argent, jusqu’à ce que la pyramide s’effondre. Durant la longue période de reprise qui a suivi la crise, les banques ont été contraintes d’assainir et de réduire la taille de leurs bilans. Les règles ont été renforcées et les réserves obligatoires de fonds propres augmentées. Le retour au calme était à ce prix, mais le coût sociétal fut et reste très élevé.

Ces interventions ont clairement mais douloureusement montré à quel point le rôle et la place du secteur financier dans la société sont cruciaux. En dépit de ce lourd coût sociétal, la question du rôle sociétal et de la responsabilité des banques n’a, hélas, pas été réellement posée, et encore moins traitée. Lehman Brothers a été déclarée en faillite, mais le système a été sauvé. Les moteurs du secteur financier sont toujours largement les mêmes : c’est le profit à court terme qui prime.

Pour chaque projet qu’elle finance, une banque devrait se poser la question éthique suivante : ce projet a-t-il un impact positif ou négatif sur le plan social ou écologique ? Elle devrait également le faire connaître publiquement car toute décision financière a un impact qui va bien au-delà de la comptabilité de la banque. De nombreuses banques continuent néanmoins à prendre des décisions suivant des modèles de risque et de rendement strictement financiers. Un prêt à une entreprise polluante est accordé de la même manière qu’un crédit à un projet dans le domaine des énergies renouvelables. Bien que les activités du pollueur aient un impact négatif sur l’homme et la nature, elles sont financées par des banques et des gestionnaires de fonds qui ont peu de considérations écologique ou sociale dans leurs décisions.

Les décisions prises par Lehman Brothers se fondaient, elles aussi, sur le rendement. La question est de savoir si, aujourd’hui, les banquiers se posent les bonnes questions. Lorsqu’un dossier de financement de la production d’armement ou d’une entreprise pétrolière qui continue de forer en Alaska est déposé sur la table, par exemple. Une interrogation similaire se pose en agence. Un employé dispose-t-il de la latitude suffisante pour réellement vendre le meilleur produit au client, ou les objectifs commerciaux – et les bonus qui leur sont associés – l’orientent-il vers le produit X plutôt que vers le produit Y ?

Nous ne pourrons sortir d’un système où de nouvelles crises se pointent qu’en modifiant radicalement les motivations des banques.
Thomas Van Craen, directeur de la Banque Triodos Belgique

Nous ne pourrons sortir d’un système où de nouvelles crises se pointent qu’en modifiant radicalement les motivations des banques. Celles-ci doivent, de manière urgente, tenir compte d’éléments qui ne s’expriment pas immédiatement en argent sonnant et trébuchant, s’inscrire dans une perspective à beaucoup plus long terme et tenir compte de l’impact de leurs décisions financières sur les hommes et l’environnement. C’est à cette condition seulement que la situation pourra fondamentalement changer.

Thomas Van Craen
Directeur de la Banque Triodos Belgique