L’investissement durable est un business en plein essor : chaque banque possède aujourd’hui ses fonds durables et en assure une promotion accrue. 
Afin de pouvoir identifier ces fonds plus clairement à l’avenir, l’Union européenne propose une taxonomie – c’est-à-dire un système de classification. Or, celle-ci ne s’applique qu’aux fonds qui sont déjà “durables” et qui représentent 2 % seulement de tous les fonds en circulation en Europe. Afin d’obliger le secteur financier à assumer pleinement ses responsabilités dans la lutte contre le réchauffement climatique et les inégalités sociales, la taxonomie européenne doit s’appliquer à tous les fonds d’investissement sans exception.

En signant l’Accord de Paris sur le climat, les États membres de l’Union européenne se sont engagés à rendre leurs économies climatiquement neutres à l’horizon 2050. Les flux financiers doivent alors également cesser de financer les activités liées aux énergies fossiles et autres activités nuisibles. Les capitaux ainsi libérés seront dès lors investis, entre autres, dans l’isolation des maisons et des bâtiments, dans l’efficacité énergétique et le stockage de l’énergie, ainsi que dans les énergies renouvelables. Afin d’orienter ce processus dans la bonne direction, l’Union européenne travaille à un plan d’action appelé ‘EU-Sustainable Finance’. 

Le fait que l’Union européenne prenne aujourd’hui plus de responsabilités dans la lutte contre le réchauffement climatique et les inégalités sociales est une bonne chose. La Banque européenne d'investissement cessera d'accorder des prêts pour les énergies fossiles à partir de 2021. Nous saluons aussi le fait que l’Europe envisage maintenant d’établir un cadre commun basé sur des critères écologiques et sociaux. Les “greenwashers” seront dès lors mis hors-jeu. 

Toutefois, cette taxonomie tire à côté de la cible. Certes, les investissements réalisés par le biais des fonds durables seront à l’avenir plus clairement identifiés. Mais, en Belgique, ces fonds ne représentent que 10 % des actifs sous gestion. Au niveau européen, il s’agit de 1 à 2 % des fonds sur le marché (selon le ‘Centre for European Policy Studies’).  Qu’advient-il des 99% d’autres fonds ? Le besoin de transparence à propos de l’impact écologique et social des investissements effectués par ces investissements ne jouerait-il pas ?

Chaque investissement financier a un impact sociétal, qu’il soit positif ou négatif. Les banques et les gestionnaires de fonds orientent l’argent de leurs épargnants et de leurs investisseurs dans un sens ou dans l’autre. Leur rôle n’est jamais neutre. 

Si les 99 % des fonds non-durables peuvent continuer à financer sans entraves des activités fossiles et toutes autres activités nuisibles, la plupart des flux financiers risquent alors de rester en dehors des plans climat de l’Union européenne. Comment la Commission européenne et les États membres de l’Union expliquent-ils alors qu’ils se sont engagés dans le même temps en faveur de la neutralité carbone en 2050 ? Pour maintenir la hausse des températures mondiales sous le seuil des 1,5 °C, il est impératif d’interdire le financement de nouvelles exploitations fossiles, d’accélérer la réduction des financements actuels du secteur des énergies fossiles et de réorienter les flux de capitaux vers une économie et une société post-énergies fossiles. 

Ne jouons donc pas la politique de l’autruche pour l’ensemble des fonds de placement et autres produits financiers qui ne se présentent pas comme « durables » ou dont on ignore même ce qu’ils financent exactement. Ces 99 % de fonds pèsent environ 29,7 billions d’euros au niveau européen. Si tous les efforts et toute l’attention se concentrent uniquement sur les 1 à 2% restants, nous n’y arriverons pas. La taxonomie européenne doit donc veiller à ce que tous les fonds proposés sur le marché européen affichent leur couleur : vert, brun ou toutes les nuances intermédiaires.

Nous attendons de l’Union européenne que son plan d’action pour la finance durable crée des conditions égales pour tous les acteurs financiers. Dans le plan actuel, l’investisseur ne sait pas s’il investit durablement ou non, ni si son argent finance des activités néfastes. 

La Banque Triodos lance dès lors un appel urgent aux représentants politiques belges siégeant dans les organes de décision européens : le ministre des Finances, la représentation permanente belge auprès de l’Europe et les membres belges du Parlement européen. Utilisez votre vote en faveur d’une taxonomie qui contraint le secteur financier à cartographier les risques écologiques et sociaux de l’ensemble des fonds européens (30 billions d’euros) et des crédits (33 billions d’euros). C’est seulement ainsi que l’Union européenne créera le cadre nécessaire pour que le monde financier assume pleinement ses responsabilités dans la lutte contre le réchauffement climatique et les inégalités sociales.

Et à mes collègues banquiers et gestionnaires de fonds : dépassez les labels et les slogans et optez pour une politique durable intégrée. Montrez l'impact écologique et social de tous vos financements et orientez l’entièreté de vos bilans dans la voie pour une planète vivable et la justice sociale. Car chaque décision financière a un impact sociétal.