Dans un investissement ESG, l'accent est principalement mis sur l'environnement et le climat, et beaucoup moins sur l'impact social – qui englobe des thématiques comme l'éducation, la réduction de la pauvreté et l'équité. « Cela signifie que les investisseurs passent à côté d'opportunités de rendement, estime Hadewych Kuiper, Managing Director de Triodos Investment Management (Triodos IM). Pour créer un véritable impact, il faut des résultats à la fois sociaux et environnementaux. »

Triodos IM investit en ayant une vision holistique de la durabilité où les personnes et l'environnement sont traités de manière égale. C'est pourquoi nous recherchons autant que possible, pour nos portefeuilles d'investissement, des entreprises qui ont un impact positif dans ces deux domaines. « Pensez à investir, par exemple, dans une ferme biologique qui offre un emploi à des personnes ayant des problèmes psychiatriques ou psychosociaux, ou encore des difficultés d'apprentissage. Une entreprise de ce type contribue à rendre notre système alimentaire plus durable, tout en donnant à des personnes éloignées du marché du travail la possibilité de participer à la société et de s'épanouir sur le plan personnel et professionnel », argumente Hadewych Kuiper.

Hadewych Kuiper : « Or, la majeure partie de l'argent disponible sur le marché est placée dans des investissements verts : dans l'environnement et, de manière plus récente, dans le climat. Ce sont des thèmes que la plupart des investisseurs durables comprennent et qui leur sont familiers. Fréquemment, les investissements verts sont aussi plus tangibles et plus faciles à relier aux rendements financiers : c’est le cas, par exemple, des investissements dans les énergies solaire et éolienne. » Les investissements ayant une composante sociale, en revanche, sont souvent moins mesurables. Les aspects sociaux des Objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies, tels que « aucune pauvreté » ou « aucune famine », s’inscrivent, en effet, dans une approche assez large.

Hadewych Kuiper
Hadewych Kuiper

La législation européenne prévoit aujourd’hui d'accroître cette composante sociale qui fait défaut dans l'investissement socialement responsable (ISR), mais en axant les exigences de transparence principalement sur le contenu vert des investissements. Dès lors, la composante sociale risque d’être involontairement éclipsée, alors qu'elle mérite davantage d'attention. D’où la mise en garde de Hadewych Kuiper : « Vous ne pouvez pas séparer le E du S. »

L'homme et l'environnement sont liés

Le monde est confronté à d'énormes défis, de l'augmentation des inégalités au changement climatique en passant par la perte de biodiversité. Ces défis sont souvent interconnectés. Par conséquent, la solution réside généralement dans une combinaison d'aspects environnementaux et sociaux, plaide Nikkie Pelzer, Impact Manager chez Triodos IM. « Si vous vous concentrez sur le climat en installant un parc éolien, mais que vous ignorez les aspects sociaux tels que les besoins des riverains, votre succès sera moindre. Ce que vous pouvez faire, c'est permettre à ceux-ci de profiter du parc éolien en mettant en place une coopérative énergétique par exemple. »

Hadewych Kuiper pointe le même type de lien dans les pays en développement ou les économies émergentes. « Dans ces pays, les solutions énergétiques durables vont souvent de pair avec une amélioration de la qualité de vie. Par exemple, les agriculteurs peuvent utiliser des panneaux solaires pour générer de l'énergie locale afin d'irriguer leurs terres. À Nairobi, au Kenya, j'ai parlé à une entrepreneuse qui produit de l'énergie à partir de la bouse de ses vaches grâce à une installation de biogaz. Il en résulte une utilisation moindre des combustibles fossiles : cette entrepreneuse a de la chance car elle n'est pas affectée par l'augmentation du prix du diesel. »

Selon Nikkie Pelzer, les produits et les services qui améliorent la vie des gens tout en s'attaquant aux problèmes environnementaux ont un impact important. « Rendre sa maison plus durable est financièrement facile pour l'élite et les classes moyennes. Cependant, pour une transition complète et réussie vers un parc immobilier durable et un réseau énergétique flexible et propre, il faut également que des entrepreneurs et des coopératives de logement rendent les panneaux solaires et l'isolation, notamment, accessibles aux groupes à faibles revenus. Les entreprises qui agissent de la sorte ont un impact plus important et il est utile de les avoir dans son portefeuille d'investissement. »

La législation européenne fait peu de cas de l'investissement social

À partir du 1er janvier 2023, les fonds durables devront indiquer quelle partie du portefeuille est verte ou conforme à la classification de la Taxonomie européenne. Il s'agit d'un bon incitant pour orienter davantage de capitaux vers des investissements durables. Toutefois, cet incitant n’existe pas encore pour les aspects sociaux.

Nikkie Pelzer : « La réglementation européenne oblige les gestionnaires d'actifs à classer chaque investissement : est-il vert (environnemental) ou social ? En général, un fonds opte pour la classification verte, même si l'investissement est en partie social, principalement parce que les objectifs sociaux ne figurent pas dans la Taxonomie verte de l'UE et ne permettent donc pas d'obtenir un classement plus durable. En outre, la dimension verte est plus simple à définir et peut être facilement liée au flux de revenus d'une entreprise. »

Bien qu'une taxonomie sociale soit en cours d'élaboration, Hadewych Kuiper s’interroge sur la motivation réelle de l’UE à la mettre en œuvre sur le plan législatif. Triodos IM y est fortement favorable. « Selon nous, cela conduirait à une double évaluation d'un fonds d'investissement – son contenu vert et son contenu social –, afin que les investisseurs puissent en avoir une meilleure image », souligne-t-elle.

Un appel au secteur financier

À l'heure actuelle, l'impact social d'un investissement ne donne pas lieu à un classement reconnu en matière de durabilité, les opportunités d'investissement dans le domaine social sont moins nombreuses que dans le domaine environnemental et les aspects sociaux sont plus difficiles à relier aux rendements financiers. Pour la Managing Director de Triodos IM, la combinaison d'objectifs sociaux et environnementaux permet d'obtenir bien plus de résultats en termes d'impact. « Vous obtiendrez un impact réel avec des investissements à la fois environnementaux et sociaux. Les investisseurs et les projets qui prennent en compte ces deux dimensions sont véritablement ceux qui changent la donne. »

Hadewych Kuiper : « N'oubliez pas que vous n'irez jamais loin avec les objectifs environnementaux et climatiques si vous ne prenez pas également en compte l'aspect social. Pour une transition durable, vous avez besoin de tout le monde, y compris des groupes à faibles revenus qui ne peuvent pas rendre leur maison durable pour le moment parce qu'ils n'en ont pas les moyens. Cette division de notre société est un problème grave aux conséquences considérables. »

Le secteur financier a une grande responsabilité, conclut-elle. « Nous devons nous assurer que les capitaux arrivent là où ils sont vraiment nécessaires et ont un impact maximal. Cela signifie qu'il ne faut pas se contenter de financer des projets faciles ou aisément mesurables. En tant que secteur, trouvons un meilleur équilibre entre les aspects environnementaux et sociaux. Après tout, il existe de nombreuses possibilités d'investissements ayant un impact dans ces deux domaines et offrant également un bon rendement financier. »