Les Perspectives économiques 2024, de la Banque Triodos, tablent sur une croissance économique modeste de 3,1 %.  Et dans le modèle économique actuel, une maigre évolution de 3 % ne satisfera jamais l’appétit de croissance, prédit Hans Stegeman. « Mais qu’on ne s’y trompe pas : ces 3 % correspondent à la taille de l’économie mondiale en 1970. C’est donc un accroissement d’activité économique de cette ampleur que notre planète va subitement devoir encaisser l’année prochaine ».

La croissance : notre camisole de force

La croissance, requise par notre système économique, précipite notre environnement et notre climat vers des catastrophes à grande échelle. Avec des conséquences considérables pour les humains et animaux. « Nous approchons des limites de ce que la Terre peut supporter. Et, en termes de biodiversité et de climat, nous avons déjà dépassé ces limites » déclare Hans Stegeman.

La conséquence : l’économie n’est plus en mesure d’apporter la prospérité et le bien-être à tout un chacun. Malgré cela, nous restons obstinément accrochés au mantra de la croissance. « Nous sommes dans un carcan de croissance car toute notre économie tourne autour de ce principe : croître. Lorsque la croissance des bénéfices des entreprises n’atteint pas deux chiffres, les actionnaires commencent à se plaindre. Les recettes fiscales ne permettent plus de financer les budgets en hausse et la charge de la dette. On investit moins dans l’innovation. Et des tensions naissent entre employeurs/employés pour se partager la maigre croissance ».

« Si la croissance est trop faible, ou nulle, le système se fissure. Nous le ressentons actuellement et nous le ressentirons de plus en plus dans les années d’austérité qui s’annoncent » affirme Hans Stegeman. Le vieillissement de la population et des niveaux de productivité du travail qui n’augmentent pas, ou peu, freinent la croissance en Europe. En temps normal, les États laissent les dettes gonfler pour injecter de l’argent dans l’économie. Mais les dettes ont déjà flambé, à la suite du covid, et il n’y a que peu de place pour cela. « Nous devons briser le lien entre notre économie et la croissance. Pour rendre notre système économique plus stable et ouvrir la voie vers un monde où, même dans 50 ans, l’humanité aura encore un avenir ».

Vers un modèle post-croissance

C’est pourquoi Hans Stegeman plaide en faveur d’une économie post-croissance. « Une économie avec moins de stimuli de croissance, moins de croissance matérielle, plus de temps les uns pour les autres et moins de dégâts écologiques. Il ne s’agit pas d’un programme politique. Mais d’un pragmatisme économique dans une période où les pénuries augmentent ».

La Banque Triodos joue un rôle actif dans cette transformation. Hans Stegeman : « nous montrons qu’une économie sans incitations perverses à la croissance est possible. Pour y parvenir, il faut modifier la structure institutionnelle. Réduire la surconsommation. Changer les incitants aux bénéfices des entreprises. Améliorer la sécurité au travail. Et diminuer la pression, exercée par le système financier, favorisant la croissance ».

Hans Stegeman donne un exemple simple : un réfrigérateur qui aurait une durée de vie deux fois plus longue sans coûter plus cher. « Sur le plan social, les retombées positives seraient énormes. Cependant, la plupart des entreprises privilégient les appareils à courte durée de vie. Les réparer est aussi de plus en plus difficile et coûteux. Plus un réfrigérateur dure dans le temps, plus les bénéfices et le chiffre d’affaires du fabricant sont réduits. Cela doit – et peut – changer ».

Vers d’autres modes de taxation, de propriété et de financement

Une mesure concrète serait d’adapter la taxation. Actuellement, la croissance économique profite aux États. Car ils prélèvent des impôts principalement sur les revenus du travail et les bénéfices qui, tous deux, dépendent de la croissance. Hans Stegeman : « Une taxation davantage basée sur la richesse, la pollution générée par les entreprises et les émissions de CO2, amènerait les gouvernements à être moins dépendants de la croissance. Tout en contribuant aussi à la durabilité ».

Hans Stegeman : « nous devons également nous pencher sur les droits de propriété. Pour l’instant, ils sont exclusivement détenus par des bailleurs de fonds qui se soucient uniquement des bénéfices. Ils poussent ainsi les entreprises à rechercher, avant tout, les bénéfices à court terme. Dans les coopératives, par exemple, d’autres intérêts sont pris en considération ».

Le secteur financier doit aussi s’écarter de la croissance. Et se tourner davantage vers les impacts positifs et la durabilité dans l’économie réelle, lorsqu’il finance des activités, estime Hans Stegeman. « C’est difficile car de nombreuses entreprises, dont les modèles sont dépassés, figurent toujours dans les bilans des banques ou dans les portefeuilles d’investissement. Tenter de rendre ces entreprises plus durables, par le dialogue ou l’engagement, est un choix visant uniquement un bénéfice à court terme. On peut retarder les douloureux amortissements. Mais nous sommes aujourd’hui dans une impasse. Et le mur, dans lequel nous fonçons, va faire très mal ».

L’économie post-croissance offre des opportunités

Que signifie un monde post-croissance pour le personnel et les prêteurs ? Dans un modèle post-croissance, les combustibles fossiles disparaîtront, tout comme d’autres secteurs polluants. Hans Stegeman : « La transition engendrera certainement des pertes d’emploi. Il va falloir assurer la sécurité des travailleurs dans ces secteurs. Cependant, les activités plus durables vont également générer de nouveaux emplois. Contribuant au bonheur et au bien-être des gens ».

Il va également falloir offrir un autre type de soutien aux travailleurs qui comptent actuellement sur une croissance annuelle de leurs revenus (pour faire face à l’augmentation des coûts). Par exemple avec un salaire de base. « Nous devons également offrir aux gens d’autres perspectives. Une vie avec plus de loisirs, de bien-être et une répartition plus équitable des richesses. Sur son lit de mort, personne ne dit qu'il aimait vraiment faire ses courses dans des grands magasins à bas prix ».

Pour les prêteurs, il reste de nombreuses opportunités de retour sur investissement. Hans Stegeman : « l’absence de croissance au niveau macro ne signifie pas qu’il n’y en a nulle part. Elle existe au sein des entreprises et secteurs qui s’engagent sur la voie d’une économie durable. Ces secteurs doivent être développés. Ces entreprises continueront à générer des bénéfices, mais sans incitations perverses au profit à court terme. La croissance ne devrait plus être la priorité. Il faut s’en sevrer et se concentrer davantage sur l’intérêt collectif. Chez Triodos, j’espère que nous montrons que c’est possible ».