Plus d’habitants pour une même superficie

En ce début d’année 2024, Bruxelles a connu un taux d'occupation des bureaux presque historiquement bas et une vacance structurelle globale qui reste problématique dans certains districts tels que la périphérie. Le taux de vacance au premier trimestre 2024 est élevé, représentant 985 000 m2, selon JLL Research.

Quant à la population, il y a ceux qui quittent la capitale – ils seraient 10 000 l’an dernier – et ceux, plus nombreux mais souvent moins aisés, qui s’y installent. Le solde est cependant nettement positif, comme le note Benoit Moritz, architecte et urbaniste chez MSA, professeur à la Faculté d'Architecture de l'ULB, membre de l'Académie Royale de Belgique : « A Bruxelles, la densification est un vrai sujet. On est passé de 950 000 habitants en 2005 à 1,2 million en 2020, donc plus 250 000 habitants. Cela veut dire plus ou moins 100 000 ménages, donc au moins 100 000 logements de plus à trouver. »

Parallèlement, le vieillissement de la population et surtout la diminution de la taille des ménages pousse la demande de logements vers le haut. En 2023, 36% des ménages belges étaient composés d'une seule personne, et d'ici 2060, ce constat vaudra pour 50% de la population. Densifier est donc un passage obligé, mais il s’agit de ne pas le faire n’importe comment. Nous vous présentons ici, au travers d’initiatives de trois clients de la Banque Triodos, trois manières différentes de créer du logement dans la capitale.

La location prend l’ascenseur

À Bruxelles, la proportion de propriétaires a chuté de 60% il y a 15 ans à environ 47% aujourd'hui. Jean-Baptiste Van Ex, CEO de Vicinity, note : « Clairement, la location a le vent en poupe. Mieux, elle devient de plus en plus un choix alors qu’elle a longtemps été une planche de salut. La jeune génération a moins une brique dans le ventre que les précédentes. Elle recherche une façon de se loger dont la flexibilité puisse épouser les changements au cours d’une vie. »

Marc De Hertogh, Senior Impact Relationship Manager spécialiste de l’immobilier durable chez Triodos Bank, dresse quant à lui l’état des lieux suivant : « En Belgique, la taille moyenne des habitations est supérieure à la moyenne européenne, avec une prédominance des maisons individuelles. Les projections démographiques indiquent une augmentation du nombre de ménages d'une seule personne. Le marché immobilier belge est confronté à une pénurie de logements abordables, en particulier à Bruxelles. Avec l’inflation et la hausse des taux d’intérêt, le marché est tendu, même si cette tension n’est pas entièrement rationnelle. Plus que le niveau actuel du taux hypothécaire, autour des 3%, c’est son évolution ces dernières années qui secoue la population. Le temps où l’argent était gratuit est révolu et nous en sommes revenus au taux qu’ont connu nos parents. L’incertitude, notamment géopolitique, que l’on connaît aujourd’hui n’arrange rien. On constate que le nombre de permis de construction a diminué de 13% par rapport à l'année précédente. Et, contrairement aux prix de l’acquisitif, ceux des loyers augmentent plus rapidement que l'inflation. »

Face à ces constats, les initiatives citoyennes ne manquent pas pour tirer son épingle du jeu et quand même parvenir à habiter en ville, de manière durable et évolutive. Les formes alternatives d’habitat ont certes la cote, mais ne s’adressent pas à tout le monde. « Mes jeunes collègues chez MSA vivent presque tous en cohabitation, parce que cela coûte moins cher. », constate Benoit Moritz.

Anciens bureaux…

Benoît Moritz : « La population bruxelloise, en augmentation, demande des logements abordables et des espaces verts pour respirer. Construire du neuf à Bruxelles est devenu presque impossible vu la quasi absence d’espaces ouverts. D’où la nécessité de rénover et de reconvertir en logements tout ce qui peut l’être, notamment des immeubles de bureaux. Une étude de perspective.brussels a identifié 150 000 m2 reconvertibles, ce qui n’est pas énorme. Capitale du pays, Bruxelles concentre pourtant les bureaux de nombreuses sociétés, dont certaines n’ont plus, surtout depuis que le COVID est passé par là, l’utilité d’une partie de leurs surfaces de bureaux. »

Jean-Baptiste Van Ex, CEO de Vicinity, précise : « D’une part, il y a énormément de bureaux qui ne sont plus aux normes et ne répondent plus aux besoins actuels. D’autre part, la plupart des grandes sociétés veulent des bureaux peu ou pas consommateurs d’énergie et qui correspondent aux besoins actuels, notamment en termes de localisation favorable à la mobilité. Et ça, il y en a peu ou pas dans le marché. On peut faire un parallélisme avec le logement, ceux correspondant aux normes actuelles sont rares sur le marché, créant une demande totalement excédentaire. Et à mon humble avis, le marché des bureaux va connaître une crise sans précédent dans les cinq à dix ans. »

… nouveaux logements ?  

Réaffecter d’anciennes surfaces de bureaux pour en faire des logements est-elle la solution ?  Jean-Baptiste Van Ex nuance : « Transformer un immeuble de bureaux en logements est tout sauf simple. Les hauteurs sous plafond doivent être suffisantes pour y installer les techniques actuelles, les noyaux doivent être bien organisés et les immeubles eux-mêmes ne doivent pas être trop profonds afin de garantir un accès à la lumière du jour.  Les autorités imposent que les appartements soient traversants, avec tout ce que cela implique en termes de coût…. Partir d’un immeuble de bureaux pour en faire un ensemble résidentiel rentable n’est pas toujours possible… »

L’augmentation des prix de l’immobilier étant plus rapide que celle des revenus, un déséquilibre se crée entre offre et demande, au point que même la classe moyenne a des difficultés à accéder à la propriété. Louer son logement est donc la règle, à l’instar de ce qui se fait déjà par exemple avec les vélos et les autos dont on partage le droit d’usage. Mais même la location semble inaccessible pour beaucoup. Les loyers ont augmenté d'environ 10% l'année dernière à Bruxelles. Jean-Baptiste Van Ex : « En consacrant 25% de leurs revenus au loyer, 50% des ménages de la classe moyenne (déciles 4 à 7) n’ont accès qu’à 6% du marché locatif ou 12% s’ils y consacrent 30% de leurs revenus… ».

Se loger est encore plus compliqué pour les ménages aux revenus les plus faibles et/ou en situation précaire. Créateur d’impact à la fois social et écologique comme Vicinity, Inclusio s’adresse quant à elle aux tranches de la population aux revenus les plus faibles (déciles 1 à 3), visant leur inclusion dans la société.

Lionel Van Rillaer, directeur général d’Inclusio : « Les chiffres publiés par la SLRB nous apprennent qu’au 31 décembre 2022, il y avait 40 500 logements sociaux à Bruxelles, dont 4600 inoccupés, et qu’environ 50 000 familles étaient en liste d'attente d’un logement social. En fonction du nombre de chambres souhaité, le temps d’attente serait de 11 à 20 ans… surréaliste ! Cette demande énorme de logements sociaux, combinée aux milliards qui traînent sur les comptes d’épargne dans notre pays, nous a poussé à passer à l’action dès 2014. »

Parallèlement, on constate que seulement 25% des logements de la SLRB possèdent un certificat PEB A, B ou C, pourcentage très optimiste par rapport à la réalité car seulement 32% des logements de la SLRB étaient détenteurs d’un certificat PEB ! Autrement dit, le défi auquel sont confrontées les sociétés de logement publics est titanesque. On peut imaginer qu’elles devront consacrer l’entièreté de leurs moyens à rénover leurs biens existants plutôt que d’en construire de nouveaux.

Bien entendu, les logements d’Inclusio sont aux normes PEB actuelles, pour que loyer modeste ne rime pas avec charges funestes.  La moyenne régionale de la consommation énergétique des immeubles à Bruxelles est de 210 kWh/m²/an, tandis que les immeubles d'Inclusio ont une consommation de 111 kWh/m²/an. Lionel Van Rillaer : « Nous sommes dans une stratégie à long terme, avec des immeubles qui sont qualitatifs tant en termes de performance énergétique que de mobilité, dans des localisations bien desservies par les transports en commun et plutôt dans les centres urbains, à Bruxelles, à Malines et dans d'autres plus petites villes du pays. »

A Bruxelles, la densification « intelligente » passe notamment par la reconversion d’anciens immeubles de bureaux, comme l’a fait Inclusio à proximité de la gare du Nord à Schaerbeek, où elle a créé 41 logements loués à l’AIS communale. A Woluwe-Saint-Lambert, ce sont 79 appartements que compte le projet Antares. « Dans les deux cas, on se trouve dans des localisations décentrées qui n'intéressent plus beaucoup les sociétés, qui préfèrent être implantées au centre-ville à proximité d’une gare. Je constate que la tendance à la réduction des surfaces de bureaux initiée par le COVID se poursuit, ce qui va amener pas mal d’immeubles de bureaux sur le marché dans les années à venir. Une autre tendance, typiquement bruxelloise celle-là, est la surabondance de maisons de repos, et donc une vacance importante. Nous avons ainsi déjà eu l’occasion d’acheter une MRS que nous avons reconvertie en centre d'accueil pour sans-abris et que nous louons au Samusocial. »

Triodos Bank contribue à maintenir le marché ouvert

Marc De Hertogh, Senior Impact Relationship Manager - Practice Lead Sustainable Properties chez Triodos Bank : « Face à la tension présente sur le marché immobilier résidentiel, notre rôle est de contribuer à maintenir le marché ouvert. En effet, si tous les acteurs du secteur financier jouent la carte de la peur en ne finançant plus rien, que ce soit de la rénovation ou du neuf, le stock disponible diminue et les prix augmentent. Il faut donc avoir le courage de continuer à accorder des crédits même si le contexte est momentanément moins porteur. Par chance, il s’avère que le marché belge est plus résilient que la moyenne européenne ».

Face à la baisse significative du nombre de permis, Marc De Hertogh souligne l'importance de soutenir les acteurs professionnels qui se spécialisent dans la transformation des bâtiments existants. « Dans une ville comme Bruxelles où l'espace libre n'est plus disponible, il s’agit de reconvertir de l'espace occupé, meilleure solution aussi pour l'environnement. Face à la prédominance des maisons unifamiliales et à leur taille au-dessus de la moyenne, il faut oser repenser la division des espaces en plus de mettre en œuvre les technologies actuelles pour doper la performance énergétique. Pour ce faire, nous voulons soutenir un tissu d'acteurs en capacité de changer la donne pour trouver une voie médiane entre le particulier qui rénove son bien petit à petit et la construction neuve. Ces acteurs professionnels, tels que Vicinity ou Inclusio, vont s’atteler à transformer un bien existant de l’étude du permis jusqu’à l’occupation des nouveaux logements. L’une de nos spécialités est de couvrir la période nécessaire à l’aboutissement du projet, qui peut s’aller sur 5 ans avant d’entrer dans du financement d’immeuble occupé sur le long terme. Parallèlement, nous soutenons également les associations de particuliers qui décident de mener ensemble un projet de rénovation-transformation. Parallèlement, nous aimerions voir naître plus d’initiatives de la Région bruxelloise pour soutenir les associations de citoyens qui veulent rénover ensemble. Ce chaînon manquant devrait se développer au sein de Renolution, la stratégie développée par la Région de Bruxelles-Capitale pour booster la rénovation du bâti bruxellois. » 

« Si l’on veut atteindre les objectifs européens fixés pour 2050, il faudra aussi être capable de traiter un énorme volume en rénovation. Près de 80% du parc immobilier serait concerné.  Les entreprises vont devoir suivre le rythme, les fabricants de matériaux (isolants, …) et matériels (pompes à chaleur, ...) également. La rareté devra être combattue pour rendre la rénovation accessible financièrement. » Triodos Bank peut jouer un rôle dans cette quête d’échelle en soutenant les PME afin de leur permettre d’amener leur capacité de production à un niveau supérieur.  Toujours avec la volonté de privilégier les matériaux éco-sourcés et la construction circulaire.