Nous sommes face à un cercle vicieux. La terre continue de se réchauffer et cela contribue au déclin de la biodiversité. Et lorsque la biodiversité recule, la capacité d'absorption des gaz à effet de serre par les écosystèmes est également réduite, comme le démontre à nouveau une étude de Rockstrom. Si nous voulons limiter le réchauffement climatique, nous devons non seulement réduire drastiquement nos émissions, mais aussi veiller à ce que les gaz émis puissent être en partie absorbés par la nature.

Notre plus grande alliée

Heureusement, cette question fait l'objet d'une attention croissante. D'ici à 2030, 30 % de la surface des terres et des mers devra être protégée. C'est ce qu'ont décidé les pays participants au sommet sur la biodiversité qui s'est tenu à Montréal à la fin de l'année dernière. Un pas dans la bonne direction, car trop d'objectifs se concentrent uniquement sur la prévention des émissions de CO2.

Pour faire de la nature une alliée dans la lutte contre la crise climatique, nous devons prendre deux mesures majeures. La nature doit être préservée et lorsqu’elle a été détruite, elle doit être restaurée. Si le secteur financier commence à investir dans cette direction, nous pouvons faire une différence importante.

Conserver et restaurer la nature

Premièrement, nous devons mettre un terme aux émissions dues à la déforestation, à la réaffectation des tourbières et à d’autres destructions environnementales. Selon le GIEC, ces émissions ont représenté environ 10% des émissions mondiales entre 2010 et 2019. Chaque année, quelque 3,75 millions d'hectares de forêt tropicale humide primaire disparaissent, soit 10 terrains de football par minute, entraînant des émissions annuelles équivalentes aux émissions de combustibles fossiles de l'Inde.

Le monde doit réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 43 % au cours des sept prochaines années pour limiter le réchauffement de la planète à 1,5°C. la viabilité de cet objectif est en jeu parce que nous ne sommes pas sur la voie du « zéro émission nette » en 2050. Il faut donc considérer l’ensemble de la chaîne. Il est crucial de réduire rapidement les émissions des entreprises et de leurs chaînes d'approvisionnement, tout en protégeant la nature. Pour mettre un terme aux émissions liées à la conversion des terres, il faut à la fois investir dans des projets de conservation et couper les flux financiers qui permettent aux secteurs tels que l'élevage et l'exploitation minière d'être les moteurs de la disparition des milieux naturels.

Protéger la nature ne suffit pas. La deuxième chose sur laquelle le secteur financier doit se concentrer davantage pour parvenir à la neutralité est la mise en place de solutions climatiques basées sur la nature.  Les solutions telles qu'une meilleure gestion des forêts, la remise en eau des tourbières et le reboisement permettent aux milieux naturels de retirer beaucoup plus de carbone de l'atmosphère et de le stocker dans les sols et la biomasse. Si nous y parvenons, la nature pourrait assurer un tiers de la nécessaire réduction du CO2 d'ici à 2030.

Contrairement à de nombreuses technologies d'élimination du CO2, la nature offre des solutions sûres pour retirer les émissions à grande échelle. L'élimination naturelle du carbone jouera probablement un rôle crucial au cours des prochaines décennies pour maintenir le réchauffement de la planète dans des limites acceptables. À plus long terme, nous devons également explorer et développer des moyens sûrs de stocker le carbone de manière plus permanente que ne le permettent la plupart des solutions naturelles.

Éviter une approche réductrice du carbone

Pjotr Tjallema
Pjotr Tjallema, duurzaamheidsonderzoeker bij Triodos Investment Management.

La séquestration du carbone n'est qu'un des nombreux services écosystémiques dont nous dépendons pour notre bien-être et notre survie. Nous devons éviter une vision « tunnel » centrée sur le carbone, qui réduit les écosystèmes tels que les forêts à des unités d'émissions évitées ou supprimées. En se focalisant exclusivement sur la séquestration du carbone, on risque de créer des zones qui peuvent être riches en biomasse mais auront une faible valeur pour les communautés locales et la biodiversité. Nous devons éviter de nous contenter de mesures simples telles que le nombre d'arbres plantés. Il est aussi essentiel d'éviter de planter des arbres dans des écosystèmes où ils n'ont pas leur place, comme les prairies et les tourbières naturelles, ou de remplacer des forêts anciennes par des plantations d’espèces nouvelles.

La conservation et la restauration de la nature étant une nécessité en soi pour Triodos, des projets efficaces de séquestration basés sur la nature doivent donc être conçus de manière à favoriser la biodiversité et la santé des écosystèmes. Des technologies telles que la bioacoustique assistée par l'IA et la télédétection peuvent nous aider à mesurer et à comprendre le succès de nos efforts.

Un rôle plus important pour les communautés locales

Les êtres humains font partie de la nature, dont ils dépendent pour leur bien-être et leur survie. Les peuples autochtones et les autres communautés locales ont souvent une connaissance inégalée de leurs écosystèmes locaux et sont des gardiens efficaces de l'intégrité de l'environnement. Ils sont donc des partenaires essentiels dans la lutte contre la crise climatique.

Malheureusement, ils sont encore trop souvent marginalisés dans la prise de décision politique et économique, bien que leur position de gardiens de la nature ait été reconnue lors de la dernière Convention sur la diversité biologique COP15 en décembre 2022. Les projets de solutions climatiques naturelles, en particulier ceux qui visent à préserver la nature, doivent être fondés sur des partenariats équitables et respecter des droits et des intérêts des communautés locales.

Pour éviter de pousser le monde au-delà de ses points de bascule écologiques, nous devons conserver et restaurer une gamme variée d'écosystèmes tout en veillant à ce que les communautés locales en bénéficient de manière juste et équitable. Nous devons aussi veiller à ce que chaque institution soit transparente quant aux effets des prêts et des investissements sur la nature et le climat. Et faire en sorte que les flux d'argent vers des projets nuisibles cessent dès que possible. Enfin, en tant que secteur, nous devons faire des efforts supplémentaires pour investir plus d'argent dans la nature et des solutions telles que l'agriculture biodynamique et la gestion naturelle de l'eau. C'est ainsi que nous pourrons garantir que les hommes et la nature vivent en harmonie.