« Seul le plastique, le béton ou l'acier, nous paraissent adaptés à la construction de nos jours. Les matériaux de construction naturels ont même la réputation d’être éphémères. Mais si vous regardez les bâtiments historiques, de villes comme Amsterdam et Venise, vous constaterez que tous ces vieux immeubles sont là depuis des siècles. Si on fait une comparaison, avec les bâtiments modernes en béton, une conclusion s’impose : les matériaux de construction naturels peuvent résister à l’épreuve du temps. Alors que le béton a beaucoup plus de mal. »

Jan Palmaers n'a pas besoin de vous convaincre de la valeur ajoutée de mère nature. En tant que P. D. G. de la start-up Exie, il commercialise des matériaux isolants à base de matières premières naturelles, depuis 2019. Le chanvre en tête : encore une matière première à mauvaise réputation. « Le chanvre industriel n’a rien à voir avec de la drogue. Nos plantes contiennent à peine 0,3 % de THC ou tétrahydrocannabinol : une molécule, dérivée du cannabis, qui a des effets psychoactifs. Si vous souhaitez les ressentir, il faut au moins 15 % de THC. Ce sont des produits complètement différents. »

Solide comme l'acier

Les avantages du chanvre, en revanche, sont multiples. « Le chanvre est solide comme l’acier. Mais, en même temps, beaucoup plus léger. Des marques automobiles, comme BMW et Mercedes, utilisent sa fibre comme revêtement intérieur, depuis un certain temps, précisément pour ses qualités. Le matériau isolant, en chanvre, régule l’humidité de l’habitacle. Vous n’avez donc plus besoin de climatisation. »

De plus, le chanvre est une plante neutre en CO2, explique Jan Palmaers : « il a été démontré que la quantité de CO2, stockée par le chanvre, est supérieure à celle libérée lors de la fabrication du matériau isolant. Ceci incluant les semis, les récoltes, le transport, puis la production, jusqu'à l'isolation elle-même. De plus, l’isolant en chaux de chanvre continue d’absorber du CO2 tout au long de sa durée de vie : un processus appelé carbonatation. »

Même lorsqu'un bâtiment est démoli, ce CO2 n’est pas libéré. « À la fin du cycle de vie d'un bâtiment, nous reprenons nos produits. Pour les réutiliser individuellement dans de nouveaux projets. Bien entendu, à condition qu’ils ne soient pas contaminés par d’autres produits, lors de la démolition. » Le CO2 reste ainsi stocké.

« Le chanvre pousse de l'Afrique du Nord à la Scandinavie et est facile à cultiver », poursuit Jan Palmaers. « Les agriculteurs ne doivent pas utiliser de pesticides. Ils ont besoin de beaucoup moins d’eau et d’engrais que pour le maïs. La plante purifie même le sol : elle y enlève les substances nocives. Le chanvre pousse jusqu'à trois mètres de haut et a un rendement élevé par hectare. Une fois la plante semée, vous ne devez plus vous en préoccuper. Vous pouvez la faire pousser en quelques mois. Puis planter autre chose. Cela profite à la terre de l'agriculteur et c’est un maillon important de notre histoire. »

Importance de l'agriculteur

Car l'aspect social joue également un rôle à Exie : dans la région de Herzele, au sud de la Flandre orientale où est implantée l'entreprise, Exie implique des agriculteurs locaux. L'entreprise les encourage à passer temporairement au chanvre comme culture de repos. Au bout d'un certain nombre d'années, les agriculteurs sont obligés de cultiver une autre plante et d’accorder du repos au sol, explique Jan Palmaers. « Via Facebook, nous leur proposons de venir semer et récolter eux-mêmes la plante. Nous recevons beaucoup de réactions spontanées. Et, en cinq ans d’existence d’Exie, certains agriculteurs en sont demandeurs une seconde fois. « L’agriculture et la construction sont deux secteurs conservateurs qui subissent actuellement d’énormes pressions. Pourquoi faire bouger les lignes dans un secteur quand on peut le faire dans les deux ? »

Un avantage supplémentaire pour Exie : pas besoin de devoir s’approvisionner en matières premières loin à l’étranger. La France, par exemple, est le plus grand producteur de notre continent avec plus de 20.000 hectares de chanvre. « Cela le rend économiquement viable. De plus, nous minimisons le transport. »

Récolter et transformer soi-même

Une fois récolté, avec sa propre machine, Exie traite le chanvre sur une ligne dite de décortication. « Nous sommes la seule entreprise en Belgique à pouvoir transformer nous-même la plante de chanvre en matériau isolant. Nous avons pu le faire grâce à un prêt de Triodos. »

Le processus de décortication comprend six étapes : éfaufiler, broyer, peigner, extraire et séparer la matière première, avant de presser le résultat en balles. À la fin du processus, les fibres à l'extérieur de la tige se détachent des anas ou des écorces à l'intérieur. Les fibres de chanvre de haute qualité sont similaires à celles du lin. Jan les revend donc comme matière première pour les textiles. Les fibres de moindre qualité et les microfibres peuvent être utilisées dans l'industrie du papier et de l'automobile. Ou servir de renfort aux matériaux composites. "On peut également les utiliser dans le béton et le plastique. Pour créer, par exemple, des bornes de recharge électrique. »

Chanvre
"La génération actuelle est plus que jamais soucieuse de l’environnement." Photo : Olivier Papegnies.

Ce sont les anas, une matière première comparable à la paille, qui constituent la base du matériau isolant. Exie en fait un matériau isolant sec. « Nous nous distinguons en cela des autres entreprises belges et néerlandaises qui proposent principalement des blocs de construction, pressés à base de chanvre, pour des murs solides. La chaux de chanvre sous sa forme sèche et meuble, pour laquelle nous détenons un brevet, est plus facile à intégrer dans la construction. »

Profiter du moment propice

« Le moment propice est là » conclut Jan Palmaers. « Le secteur de la construction est en pleine transformation dans toute l’Europe. Les matériaux biosourcés sont de plus en plus répandus. Les architectes les réclament de plus en plus. Et les plus grands entrepreneurs sont également demandeurs. La génération actuelle est plus que jamais soucieuse de l’environnement. Nous le constatons également chez nos collaborateurs. Ce sont des personnes, hautement qualifiées, qui pourraient facilement commencer à travailler dans la pétrochimie. Mais elles viennent chez nous par conviction. Je pense que nous pouvons en être fiers. »