En septembre 2016, le bureau d’architecture Conix RDBM et le développeur Whitewood ont invité Rotor, collectif bruxellois de chercheurs, concepteurs et entrepreneurs menant des recherches sur les flux et le réemploi de matériaux dans l’industrie et la construction, à s'impliquer dans le projet Multi. Depuis 2014, la spin-off Rotor DC (pour « déconstruction ») se focalise sur la récupération de matériaux de construction, leur recyclage et leur transformation.
Cette reconversion de la tour moderniste Philips, construite dans les années 60 boulevard Anspach à Bruxelles, avait pour objectif de créer un nouvel environnement de travail agréable et respectueux de l’environnement certifié BREEAM Excellent. Autrement dit : un exemple potentiel pour de futures autres reconversions, dans lesquelles les initiatives durables ne doivent pas nuire aux exigences de rentabilité, loin de tout dogmatisme vert.

Le Project Manager Arne Vande Capelle et l’associé-chercheur Lionel Billiet, tous deux actifs à l’époque chez Rotor, décrivent le cadre de ce projet pionnier : « À Bruxelles, les rénovations des tours Astro, Midi ou Finance, ont toutes tenté d'effacer autant que possible leurs caractéristiques modernistes d'origine, afin que le bâtiment disparaisse sur l'arrière-plan de la ville. Non seulement cette stratégie n'est pas convaincante sur le plan de la durabilité, mais elle revient à commettre la même erreur que les modernistes de l'après-guerre : ne pas reconnaître les qualités de ce qui existe déjà. Le projet Multi ne voulait pas répéter cette erreur, mais au contraire réconcilier Bruxelles avec cette partie de son histoire. »
Sur le plan architectural, le projet se distingue donc par des interventions intelligentes et relativement modestes, afin de maximiser la surface de plancher de la tour et de créer une connexion avec le boulevard Anspach. Une nouvelle façade apporte des mètres carrés supplémentaires, un atrium généreux invite les visiteurs à entrer, et un étage supplémentaire crée un espace à double hauteur au sommet de la tour.
Le réemploi en phase de conception
Dès le départ, la réutilisation des matériaux de construction a été un objectif explicite de l'équipe de projet, pour des raisons écologiques, mais aussi culturelles et socio-économiques. L'objectif était qu'au moins 2% de tous les matériaux utilisés dans le projet soient des matériaux récupérés (pourcentage en valeur et en poids), provenant soit du bâtiment lui-même, soit d'autres sources.
« Cela peut sembler peu, mais comme la réutilisation est une pratique révolue depuis longtemps dans les projets de construction comme celui-ci, c'est en fait très ambitieux. »
Rotor a accompagné Conix RDBM et Whitewood pendant la conception et la construction en recherchant des matériaux adéquats et en trouvant leur place dans le projet. Dans un premier temps, 14 lots de matériaux ont été identifiés comme ayant un fort potentiel de réemploi. En 2019, une sélection de ces matériaux a été exposée au 13e étage du bâtiment.
Le réemploi en phase d’exécution
Le véritable défi de ce projet fut d’intégrer ces matériaux dans le processus de construction, qui a duré plus de trois ans.
« À un moment donné de la phase d'exécution, il avait été décidé que les matériaux récupérés ne devaient pas coûter plus cher que leurs équivalents neufs ou que le surcoût devait être proportionnel à leur valeur architecturale ajoutée. À première vue, cette consigne semble juste, compte tenu du segment de marché sur lequel se positionne la tour Multi. Mais elle impliquait aussi que chaque choix effectué lors de la phase de conception était désormais en concurrence permanente avec de nouveaux produits. Et non seulement la plupart des réutilisations aujourd'hui ne sont pas bon marché, mais le simple fait de trouver le prix exact de la fourniture et de la pose d'un élément récupéré implique déjà un travail important. »
Finalement, 6 lots de matériaux ont été effectivement réutilisés :
Les profilés en H en aluminium de la façade d'origine de la tour se trouvent maintenant dans le hall d'entrée, comme luminaires et garde-corps dans le nouvel atrium. D'énormes blocs de pierre bleue ont été démontés de la façade arrière du socle pour être réutilisés in situ, sur le nouveau socle et dans l'atrium. Des dalles de pierre bleue, provenant d'une place de Bruges, récupérées et redimensionnées, ont été posées pour réaliser le sol de l'atrium. Le motif créé par l'alternance des côtés bouchardés et lisses rappelle le sol d'origine.
Un sol en granit flammé, récupéré par Rotor DC de la Générale de Banque, a été placé sur le palier de l'escalier public donnant accès à la terrasse extérieure du troisième étage. Les moteurs d'ascenseur ont été démontés et réinstallés un étage plus haut. Le revêtement de sol de la terrasse publique est constitué de granit récupéré d'un immeuble de bureaux parisien.
L'objectif de 2% n'a pas été atteint. Mais l'expérience de l'intégration du réemploi dans des projets de construction contemporains haut de gamme à grande échelle (45.000 m²) et a été extrêmement instructive pour toutes les parties concernées.
Arne Vande Capelle et Lionel Billiet concluent : « Ce qu'il faut retenir de ce projet, c'est qu'en fait, il n'est pas si difficile de synchroniser le marché de la récupération et les pratiques de construction contemporaines. Les acteurs du secteur de la construction peuvent réaliser des avancées très significatives vers un avenir plus durable, même en sortant pas à pas de leur zone de confort. Ce faisant, ils peuvent faire évoluer les pratiques de construction de l'intérieur, une étape nécessaire si nous voulons changer le cadre juridique et économique qui façonne nos actions. »
En raison de son exemplarité, la Banque Triodos a soutenu ce projet pilote en octroyant un crédit pour une garantie bancaire.
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