1. Qu’est-ce qu’une batterie de stockage de grande capacité ?

Tout le monde sait ce qu’est une batterie ou une « pile ». L’existence de batteries de grande capacité et de grandes dimensions n’est pas non plus une nouveauté. Les premières automobiles étaient d’ailleurs des véhicules électriques équipés de puissantes batteries. Lors du développement initial de l’industrie automobile, au début du siècle dernier, les moteurs électriques fonctionnant sur des batteries nickel-fer. Ils avaient une longueur d’avance sur les moteurs à combustion, rappelle Fokko Mulder, professeur en stockage énergétique à l’Université technique de Delft aux Pays-Bas. Ces moteurs étaient basés sur une découverte de Thomas Edison. « Sur de vieilles photos, vous pouvez voir des Porsche et des Ford T équipées de ces accus. » Plus tard, ces accus (au plomb) ne furent plus utilisés que comme démarreurs.

Depuis le début de ce siècle, les batteries de grande capacité font leur retour à l’échelle mondiale. Outre les voitures électriques, elles sont aussi utilisées pour le stockage de l’énergie, couplées au réseau électrique. Elles constituent un élément incontournable de la transition énergétique.

2. Pourquoi parler d’une technologie cruciale ?

Une part croissante de notre électricité est produite de manière durable : 22%
Une part croissante de notre électricité est produite de manière durable : 22%. Chiffres : Elia.

Le solaire et l’éolien connaissent une progression considérable. L’an dernier, ils représentaient, avec la biomasse, 22% de l’énergie produite en Belgique, contre 19 % l’année précédente. Les panneaux solaires, qui occupent relativement peu de place, se portent particulièrement bien. Avec 35% de capacité de production d’électricité supplémentaire, installée en 2022, par rapport à 2021. Les centrales au gaz permettent cependant de contrôler la production qui peut ainsi être adaptée à la demande.

Le solaire et l’éolien, en revanche, ne sont pas adaptables à la demande. Il arrive en effet que, par une journée très ensoleillée et venteuse, une quantité d’énergie supérieure à nos besoins soit produite. Inversement, lorsque le temps est très nuageux et en l’absence de vent, la production d’énergie peut être insuffisante. Cette intermittence conduit à des problèmes d’approvisionnement électrique.

À l'heure actuelle, les pics et les creux sont absorbés par des centrales électriques au charbon et au gaz, à forte intensité de CO2, qui ralentissent ou intensifient leur activité en fonction des besoins. Dans le cadre de la transition énergétique, les batteries de grande capacité peuvent reprendre ce rôle tampon en stockant l'énergie excédentaire pour la restituer au réseau en cas de déficit.

« Pour le stockage à court terme de l'électricité renouvelable, les batteries sont une solution idéale », explique le professeur Mulder. « Elles permettent également de compenser des différences sur 24 heures. La nuit, la force moyenne du vent est nettement inférieure. Cependant, pour le stockage à long terme de l'énergie solaire et éolienne, il faut produire de l'hydrogène, de l'alcool ou de l'ammoniac liquide à partir de cette énergie. »

Infographie : Welmoet de Graaf

De plus, les batteries de stockage permettent de compenser les différences de tension qui peuvent survenir en cas de perturbation sur le réseau. Le gestionnaire de réseau Elia peut ainsi maintenir la tension du réseau à 50 Hz. Cette fréquence représente le nombre de changements de sens du courant alternatif par seconde, entre positif et négatif. Lorsque la fréquence n’est pas bonne, un black-out se produit.

3. Quel est le rôle de la Banque Triodos ?

En décembre 2021, le consortium EStor-Lux a installé le premier parc de batteries de stockage de grande capacité, raccordé au réseau électrique belge à haute tension. Le site a été l’un des premiers parcs de batteries européens et présentait, au moment de son inauguration, la plus grande capacité de stockage du Benelux. Sa capacité à restituer de l’électricité sur le long terme contribue à maintenir le réseau en équilibre. Ce modèle, qui ne nécessite pas de subsides, a été cofinancé par la Banque Triodos et représente une véritable plus-value pour la transition énergétique.

Le projet EStor-Lux est le premier parc de batteries cofinancé par la Banque Triodos en Belgique et ce n’est qu’un début. « Si nous voulons augmenter la part des énergies renouvelables, nous devons éviter la surcharge du réseau. Les batteries de stockage sont la solution idéale », estime Valentine Bodart, chargée de relation à la Banque Triodos. « Triodos était l’une des premières banques impliquées dans ce projet. Cela a permis de montrer que ce modèle fonctionne, si bien que d’autres banques s’y intéressent peu à peu. Et compte tenu de la transformation de l’approvisionnement énergétique, voulue par l’UE, le stockage sur batterie devient encore plus pertinent » conclut Valentine Bodart.

4. C’est bien joli d’utiliser des batteries, pour la transition, mais les composants sont-ils durables ?

Les matières premières, nécessaires à la fabrication de batteries, sont principalement des métaux tels que le lithium, le cobalt, le manganèse ou le nickel. Leur extraction émet de grandes quantités de CO2 et est encore souvent associée à des problèmes sociaux et environnementaux. L’exploitation du cobalt, un métal rare, est ainsi impliqué dans des conflits meurtriers en république démocratique du Congo. Quel impact représente un projet de parc de batteries tel qu’EStor-Lux ?

Cédric Legros (à guache) et Pierre Bayart de EStor-Lux. Photo : Saskia Vanderstichele.
Cédric Legros (à gauche) et Pierre Bayart de BSTOR. Photo : Saskia Vanderstichele.

« Nous ne sommes pas exposés aux risques sociaux et environnementaux liés à l’extraction du cobalt. Pour la simple et bonne raison que nous avons opté pour la technologie lithium-fer-phosphate (LFP) qui n’utilise pas de cobalt » rassure Cédric Legros, managing director de BSTOR, gestionnaire du parc EStor-Lux. Il reste que, pour l’instant, l’approvisionnement en lithium est largement dépendant de la Chine. « Cette dépendance a pu générer des tensions sur l’approvisionnement. Ces tensions sont aujourd’hui, on l’espère, en voie d’apaisement. Mais nous sommes à l’affût de nouvelles opportunités. Des usines de production de cellules de batterie (communément appelé « Giga Factory ») sont en effet en cours de réflexion ou de développement en Europe et ailleurs dans le monde » indique Cédric Legros.

Quant au recyclage, il est assuré dans le respect des normes en vigueur. Cédric Legros : « le traitement est de la responsabilité du fournisseur et garanti par contrat. Il est conforme à la réglementation, qui prévaut sur le sol belge, qui impose à l’importateur d’assurer le recyclage des modules. En Belgique, c’est Bebat qui est en charge de ce recyclage ». Quant aux solutions « zéro lithium », qui se profilent dans un horizon de 5 à 10 ans, elles n’ont pas encore atteint une maturité suffisante pour des projets de l’ampleur d’EStor-Lux. De son côté, la Banque Triodos est également impliquée auprès d’entreprises qui conçoivent les prochaines générations de batteries. Ces dernières réduiront la dépendance aux métaux rares et permettront la recyclabilité maximale de toutes les composantes. Il s’agit d’une autre étape essentielle de la transition énergétique.

5. Installer une batterie domestique chez vous : bonne idée ?

Une batterie de stockage domestique peut être une solution intéressante pour les propriétaires de panneaux solaires. Mais ce marché reste réduit et le rôle d’une banque y est limité. Les solutions de stockage individuel coûtent actuellement des milliers d’euros et représentent un potentiel de stockage limité. Par ailleurs, le déploiement rapide de la voiture électrique permettra bientôt à davantage de personnes de bénéficier d’une grosse batterie utilisable comme batterie domestique. En effet, lorsque la voiture est stationnée en charge, elle peut absorber le surplus de production des panneaux solaires. Puis le libérer plus tard en fonction des besoins du ménage. Par exemple lorsqu’un séchoir tourne pendant la nuit.

« Étant donné le coût des batteries, il est préférable de travailler à grande échelle pour être rentable », souligne Cédric Legros. « Même EStor-Lux, avec ses 10 MW, est un projet de petite ampleur à l’échelle du réseau. Les prochains parcs de batteries belges dans notre portefeuille, actuellement en cours de développement, auront d’ailleurs une capacité nettement supérieure. De plus un parc de batteries, connecté au réseau, remplit des fonctions spécifiques pour maintenir l’équilibre du système électrique. Ce qui est plus complexe à mettre en œuvre en regroupant des batteries à usage privé au sein d’un portefeuille de capacités flexibles. »

6. Quelle place pour le stockage à l’avenir ?

Pour remplacer les centrales au gaz dans son mix électrique et atteindre la neutralité carbone en 2050, la Belgique devrait disposer de grandes capacités de stockage. Les estimations et les scénarios varient. Les besoins dépendront notamment de l’éventuelle prolongation de centrales nucléaires et de l’interconnexion des réseaux entre les pays. Celle-ci permet de réduire les capacités nécessaires par rapport à l’hypothèse d’une autosuffisance régionale ou nationale.

« Le besoin de stockage est énorme et il s’accroît à mesure que la part d’énergie renouvelable augmente dans le mix énergétique. Car plus nous utilisons d’énergie d’origine solaire ou éolienne, plus nous avons besoin de capacité flexibles pour maintenir l’équilibre du système électrique et jouer le rôle tenu actuellement par les centrales au gaz ou au charbon » explique Cédric Legros. Une chose est sûre : de gros efforts d’investissement doivent être planifiés et ce dès aujourd’hui. « Il s’agit de projets complexes à mettre en place, cela prend du temps… » souligne en effet Cédric Legros.

7. Les batteries ne sont pas (encore) une solution optimale pour le stockage à long terme. Qu’attendre de l’hydrogène « vert » ?

L'excédent d’énergie solaire ou éolienne peut servir à la production d’hydrogène (gazeux, sous forme H2) par électrolyse (les molécules d’eau sont « cassées » au cours d’un processus qui libère des molécules d’O2 et d’H2). Cet « hydrogène vert » peut être utilisé directement sur le lieu de production ou transporté vers des installations industrielles via un réseau gazier ou des navires. Cela permettrait le verdissement des industries lourdes et faciliterait l’exploitation de nouveaux parcs éoliens en mer (sans cela, il faut installer de très longs et épais câbles au fond de la mer). L'hydrogène se prête également très bien au stockage saisonnier – en été, on produit plus, mais on consomme moins, en hiver, c'est l'inverse – ce que les parcs de batteries ne peuvent pas (encore) faire.

Dans son plan national de dépendance et de résilience, la Belgique a fixé l’objectif de disposer de 150 mégawatts de capacité d’électrolyse en 2026. Et l'UE ambitionne d’installer 40 GW d'électrolyseurs d'hydrogène vert d'ici 2030. Mais malgré de grandes ambitions, la capacité de production d'hydrogène vert en Europe est encore réduite. Une sérieuse accélération est donc également nécessaire dans ce domaine.

En conclusion, le stockage sur batteries et la production d’hydrogène, se révèlent des technologies complémentaires et non concurrentes. D’autant que la production d’hydrogène est très coûteuse en énergie. Et, actuellement, une grande quantité de l’hydrogène utilisé dans des processus industriels est d’origine non durable. Il y a donc énormément à faire pour verdir cet hydrogène, avant de songer à l’utiliser comme moyen de stockage alternatif.